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Libération
Analyse

L'exécutif joue à chat sur qui savait quoi pour Delevoye

Y a-t-il eu dysfonctionnement du gouvernement sur les mandats du haut-commissaire chargé des retraites ? Ce mardi, le Premier ministre a défendu le secrétariat général du gouvernement, rendant Jean-Paul Delevoye seul responsable de son «erreur».
Le Premier ministre Edouard Philippe à l'Assemblée nationale, mardi. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT /Photo Christophe Archambault. AFP)
publié le 17 décembre 2019 à 18h02

Enclenchée depuis plus de dix jours et le début des révélations de la presse sur sa déclaration d'intérêts, la défense de Jean-Paul Delevoye commence cependant à se lézarder au sein de la majorité. But de la manœuvre : comprendre qui a pu laisser passer les «oublis» du haut-commissaire, propulsant la macronie dans une crise dont elle se serait bien passée en pleine mobilisation sociale. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), récipiendaire des déclarations de patrimoine et d'intérêts des membres du gouvernement ? Le secrétariat général du gouvernement (SGG), chargé de vérifier la constitutionnalité des fonctions occupées par les ministres ? Ou Delevoye lui-même ?

Selon le Monde, le SGG, qui est la tour de contrôle de toute l'administration gouvernementale, organisme rattaché à Matignon et présidé d'une main de fer depuis 2015 par Marc Guillaume, savait que le haut-commissaire émargeait dans une palanquée d'organismes en plus de sa mission retraites. Faux, a tonné le Premier ministre lors des questions d'actualité ce mardi. Quand on intègre le gouvernement, le SGG remet aux entrants un document les informant de leurs obligations, «document contresigné par l'intéressé». Conclusion : «Ma réponse va être d'une très grande simplicité : Jean-Paul Delevoye connaissait ses obligations et le gouvernement ne savait rien [de ses mandats extérieurs]», a insisté Edouard Philippe, dénonçant la mise en cause du SGG qui a «en la matière effectué son travail de la manière la plus adéquate». En langage de communicants, moins ourlé, l'entourage du chef du gouvernement expliquait en fin de matinée qu'on ne pouvait pas «pas présumer que les gens vont tricher». En gros, «nous ne sommes pas la police», faisait-on valoir à Matignon.

Mépris social

Quand même un petit peu puisque à l'arrivée de tout nouveau ministre, le SGG demande une note aux services fiscaux, établie d'après sa déclaration fiscale. Qui en l'espèce, mentionnait les salaires versés par le groupe IGS. «De deux choses l'une, explique un conseiller de l'exécutif. Soit le SGG ne savait pas et il est incompétent. Soit il était au courant, il a transmis et on lui a dit "OK ça passera".» Ce qui serait, le cas échéant, une preuve supplémentaire de la déconnexion d'une partie de la classe politique sur les questions de transparence et de probité. Au chapitre des excuses gouvernementales offertes sur un plateau à Jean-Paul Delevoye, on pensait avoir atteint le summum avec les déclarations de Nicole Belloubet. Lundi soir, la ministre de la Justice – comme l'ensemble du gouvernement – a rendu hommage au haut-commissaire aux retraites démissionnaire, ajoutant contre toute vraisemblance qu'il n'avait «pas triché» en omettant de déclarer tous les mandats qu'il exerçait en plus de sa mission publique. Un manquement et une violation de la Constitution qui interdit ce cumul privé-public.

C'était sans compter son collègue des Comptes publics, Gérald Darmanin. «Des bêtises, qui n'en fait pas ? a-t-il argumenté sur BFMTV et RMC mardi matin. Mais en l'occurrence, je ne trouve pas qu'il y ait mort d'homme [dans cette affaire].» Et tout d'un coup, ce n'est plus avec 1995 qu'on dresse un parallèle, c'est un retour à la case 2011 quand la quasi-intégralité des élus et observateurs français défendaient un Dominique Strauss-Kahn arrêté pour agression sexuelle à New York, minimisant un «troussage de domestiques». Dans le cas Delevoye, ce relativisme au sommet de l'Etat confine au mépris social. Il y aurait les grands de ce monde, excusables en tout s'ils daignent s'occuper de l'intérêt général et les autres, comptables de toutes leurs erreurs, qu'elles soient le résultat d'une «légèreté coupable» ou pas.