La convergence des luttes, le personnel hospitalier ne voulait pas en entendre parler : c'est avec la ferme intention de faire cortège à part que plusieurs centaines de médecins, internes, infirmières ou manipulateurs radio se sont regroupés mardi en fin de matinée devant l'hôpital Lariboisière, un peu en retrait de la gare du Nord. Histoire de mieux faire entendre la voix d'un hôpital public qu'ils estiment au bord du gouffre. Pas question pour eux de parler «réforme des retraites». «On ne peut pas mener plusieurs batailles, insiste Christine Rodriguez, neuroradiologue à l'hôpital Sainte-Anne. On ne voudrait pas que notre combat pour sauver l'hôpital soit noyé dans d'autres revendications.»
«Décevant»
A la vue d'une banderole «sauvons nos retraites, sauvons l'hôpital» accrochée sur les grilles, son visage se ferme : «Ça, ce sont les syndicats…» Leur volonté d'organiser la jonction avec l'autre mouvement social avait été un sujet de friction en assemblée générale au lendemain de la première grande mobilisation du personnel hospitalier, le 14 novembre. Très actifs au sein du collectif Inter-Hôpitaux, les médecins s'y étaient opposés.
«C'est dommageable que les deux sujets se superposent», insiste Gilles Pialoux. Balayant d'un regard les petits groupes qui l'entourent, le chef de service des maladies infectieuses à l'hôpital Tenon déplore une «moindre mobilisation» : «On est seulement quelques centaines, c'est très décevant. On a un vrai problème de visibilité. Dans mon service, cinq médecins sur sept sont en grève, mais comme ils continuent à bosser, cela ne se voit pas.» Pour lui, la déambulation prendra fin place de la République, point de rendez-vous des centrales syndicales pour la grande manifestation contre la réforme des retraites. Passé ce point, «chacun est libre», rappelle Constance Delaugerre, cheffe de service de microbiologie à l'hôpital Saint-Louis.
C'est pourtant un tout autre scénario qui a prévalu. Le cortège des soignants s'est ébranlé depuis une demi-heure quand des petites escouades de gilets orange siglés CGT cheminots le remontent, scandant à tue-tête : «Macron, on va niquer ta réforme !» A l'arrière du cortège, une banderole rouge «Cheminots en grève, même combat, même Macron» se déploie, barrant la totalité du boulevard Magenta. A l'avant, l'affolement gagne. «Ils viennent foutre le bordel ! Ils sont en train de tout pourrir !» tonne Sophie Crozier, neurologue à la Pitié-Salpêtrière et tête d'affiche du collectif Inter-Hôpitaux, avant de disparaître, happée par la gestion de l'imprévu. A quelques mètres, une engueulade explose entre une infirmière et un syndiqué CGT hospitalier. «C'est dégueulasse, ce n'est pas le même sujet», dit la première. «C'est ça, le problème, c'est jamais le même sujet !» rétorque le second.
«Tous ensemble»
Débordés, les organisateurs de la manif tranchent : «On les laisse passer.» Parmi les cheminots, toutes banderoles repliées, Olivier Besancenot avance au pas cadencé, sourire en coin : «C'est un mouvement interprofessionnel. Aujourd'hui, c'est tous ensemble», commente-t-il avant de filer vers République. La trentaine athlétique, un infirmier du Kremlin-Bicêtre réprouve : «Avoir deux manifestations séparées, c'était bien. D'ailleurs je vais faire celle des retraites après. Mais ce n'est pas normal ce qu'ont fait les cheminots.»
«Dégoûtés», des soignants tournent déjà les talons. La place de la République à peine en vue, le camion SUD santé force le passage et prend la tête des opérations. Au micro, l'ambianceur s'applique à galvaniser les énergies : «Les hospitaliers, est-ce que vous êtes là ?» «Oui !» répond le cortège encore dense des blouses blanches. «Est-ce que vous êtes pour la réforme de Macron ?» Un silence lui répond.
Après la manifestation, dans la soirée, les représentants des Collectifs Inter-Hôpitaux et Inter-Urgences devaient être reçus par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn.