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Analyse

Retraites : après les manifestations, l’heure des concessions

La mobilisation de mardi à l’appel de l’ensemble des syndicats, qui a réuni 615 000 personnes selon le ministère de l’Intérieur et 1,8 million selon la CGT, met l’exécutif sous pression. Les discussions doivent reprendre à partir de ce mercredi, malgré le départ de Jean-Paul Delevoye.
Dans le cortège parisien, mardi, boulevard Beaumarchais. (Photo Stéphane Lagoutte. Myop pour Libération)
publié le 17 décembre 2019 à 20h51

Cette fois-ci, ils y étaient tous. Mais pas côte à côte, et pas du tout sous les mêmes mots d'ordre. En tête des cortèges, ceux qui veulent toujours imposer le retrait du projet de réforme des retraites : CGT, Force ouvrière et SUD retrouvaient la rue mardi pour la quatrième fois en moins de deux semaines. Derrière, pour la première fois dans ce conflit, les «réformistes» de la CFDT, de la CFTC et de l'Unsa, favorables dans l'ensemble à un régime universel par points mais très remontés contre l'instauration progressive, dès 2022, d'un «âge d'équilibre» fixé à 64 ans en 2027.

Cette éphémère convergence n'a pas fait, selon le ministère de l'Intérieur, gonfler la mobilisation dans la rue, avec 615 000 manifestants partout en France, soit nettement plus que le 10 décembre (339 000) mais moins que le 5, quand plus de 800 000 personnes avaient été comptées pour la première grande manifestation contre la réforme des retraites. Côté CGT, on a revendiqué 1,8 million de manifestants, contre 1,5 million le 5 décembre. A la tête du cortège parisien de 76 000 manifestants (chiffre en hausse selon la préfecture), le patron de la CGT, Philippe Martinez, a célébré «un franc succès», ironisant sur «l'exploit» du gouvernement qui aura mis, «dans cet acte II, tous les syndicats dans la rue !» Plus sobrement, Laurent Berger s'est contenté de noter que les militants CFDT étaient «nombreux» mardi dans les rues.

La ligne rouge du Medef

A Matignon, on prend acte de ce rapport de force avant de recevoir les partenaires sociaux ce mercredi en tête-à-tête, avant une «multilatérale» jeudi. «Ferme mais pas fermé», selon sa formule, le Premier ministre assure qu'il y a de quoi «négocier». Mais simplement sur les conditions du retour à l'équilibre des caisses de retraites en 2027. «Je ne renoncerai pas [à ce] principe», a-t-il répété mardi devant l'Assemblée. Dans la matinée, il s'est dit «raisonnablement optimiste» devant les parlementaires de la majorité : il y aurait, selon lui, «un terreau commun» et «une capacité à s'entendre» avec les partenaires sociaux. A condition que «chacun fasse des pas vers l'autre», dit-on à Matignon.

De son côté, le secrétaire national de la CFDT, Laurent Berger, a accepté le principe d'un retour à l'équilibre du système actuel lorsque débutera le futur régime universel. A condition que le gouvernement «confie à la future gouvernance paritaire du système la responsabilité de faire d'ici à un an des propositions. […] Sans, bien sûr, imposer le résultat de la négociation avant qu'elle n'ait lieu», précise-t-il mardi dans la Croix. Berger reste opposé à «l'âge d'équilibre», qu'il trouve «terriblement injuste». Pour combler le trou de l'assurance vieillesse, il ne faut pas s'interdire, selon lui, d'augmenter les cotisations sociales. «Ligne rouge !» proteste le Medef, qui peut compter sur le soutien de Bercy : «c'est moins de pouvoir d'achat pour les salariés et plus de charges pour les patrons, ça tuerait l'économie», s'est indigné mardi le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin. Au même moment, son secrétaire d'Etat chargé de la Fonction publique, Olivier Dussopt, était moins catégorique : «le débat peut s'ouvrir», a-t-il avancé sur CNews. Qu'en dit Matignon ? Le 27 novembre, en sortant du Conseil des ministres consacré à la réforme des retraites, Philippe avait affirmé qu'il était exclu d'augmenter «fortement les cotisations de ceux qui travaillent». Fallait-il comprendre qu'elles pourraient l'être «faiblement» pour plaire à la CFDT ? Le Medef avait aussitôt fait savoir que ce serait sans lui. «Le Premier ministre a effectivement tendance à être avare en adverbes. Donc oui, c'est une manière de garder des portes ouvertes», confirme Matignon.

«Faire confiance»

De leur côté, certains députés de la majorité les ouvrent plus largement encore : désolés que le gouvernement se soit mis à dos les syndicats réformistes, une dizaine de parlementaires de la gauche macroniste ont organisé lundi une rencontre «informelle» avec Berger. Il s'agissait d'explorer «les pistes alternatives à l'âge pivot de 64 ans», explique Jean-François Cesarini, l'un des animateurs de ce groupe frondeur. L'initiative a été vivement dénoncée par les responsables de la majorité. «Cette démarche séparée ne nous engage en rien», a indiqué Gilles Le Gendre, chef de file des députés LREM. «Ce n'est pas une bonne méthode», se désole Bruno Questel, porte-parole du groupe. Selon lui, les circonstances commandent de «faire confiance au Premier ministre». Lequel va devoir prouver d'ici la fin de la semaine qu'il sait effectivement, comme il le prétend, faire preuve de «souplesse».