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Récit

Réforme des retraites : ça papote et ça patine

Les discussions ont repris mercredi entre les syndicats et le gouvernement, avec un nouveau monsieur retraites, Laurent Pietraszewski. Sans surprise, chacun campe sur ses positions. Plus tôt, Macron s’était dit «disposé à améliorer» son projet sans le «dénaturer». Des annonces sont prévues ce jeudi.
Rencontre entre Edouard Philippe et la CFDT à Matignon, mercredi. (Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 18 décembre 2019 à 21h16

Derniers rounds avant Noël. Au lendemain d'une importante journée de mobilisation, syndicats et organisations patronales étaient reçus, mercredi, à Matignon. Au programme : de nouveaux tête-à-tête avec Edouard Philippe et son nouveau secrétaire d'Etat chargé des retraites, Laurent Pietraszewski, avant une «multilatérale» ce jeudi, pour d'éventuelles annonces. Le temps presse : si l'exécutif veut présenter son projet de loi le 22 janvier, le texte doit être ficelé cette semaine pour avoir une chance de passer les étapes nécessaires : avis des caisses de retraite, du Conseil d'Etat…

D’ici là, la bataille de l’opinion continue. Tout suggère qu’elle est loin d’être gagnée pour le gouvernement. Selon un sondage Elabe pour BFM TV publié mercredi, 57 % des Français seraient opposés à la réforme, sept points de plus en une semaine. Une conséquence évidente de la mise en place d’un âge pivot à 64 ans avec un système de bonus-malus, annoncé par le Premier ministre : l’opposition à cette mesure a augmenté (67 % des sondés sont contre, soit une hausse de treize points). Point rassurant pour l’exécutif : 52 % des Français restent favorables à un système universel à points et 67 % à la suppression des régimes existants dont les spéciaux.

Macron «en surplomb» ?

Mercredi, après le Conseil des ministres, l'entourage du chef de l'Etat se contentait de faire savoir qu'il était «disposé à améliorer» sa réforme, notamment sur la question de l'âge d'équilibre. S'empressant d'ajouter qu'il «n'abandonnerait», ni ne laisserait «dénaturer», le projet de régime universel. Les communicants de l'Elysée s'interdisent d'aller plus loin et renvoient sur le Premier ministre à qui le Président a «donné mandat pour piloter la phase opérationnelle». Conformément aux bonnes résolutions de l'acte II, Macron reste donc «en surplomb» tandis que Philippe monte au front. «Cette réforme est juste car elle va permettre de corriger des inégalités que l'on a jamais eu le courage de traiter», a notamment souligné le chef de l'Etat, fin novembre. Le remplacement de Delevoye par le technicien Pietraszewski devrait renforcer l'autorité politique de Matignon. A l'Elysée on laisse entendre que Macron restera probablement silencieux jusqu'aux vœux du nouvel an.

Laurent Escure, secrétaire général de l'Unsa reçu par Edouard Philippe, mercredi.

Photo Albert Facelly pour Libération

Que s’est-il dit à Matignon ?

«On a redit qu'on ne voulait pas de l'âge d'équilibre», a expliqué Laurent Berger, de la CFDT après son rendez-vous avec le Premier ministre. Parler d'un compromis serait donc «très, très prématuré», selon lui. Le cédétiste reconnaît toutefois «une volonté de discussion et d'ouverture» sur la pénibilité, le minimum contributif, le dispositif de préretraite et les transitions pour les régimes spéciaux. Laurent Escure (Unsa) a lui aussi «senti qu'il pouvait y avoir des ouvertures», mais qui «restent à confirmer», notamment sur le minimum contributif. Idem sur la pénibilité.

Reste le gros du dossier : la mesure d'âge. Si le Premier ministre a répété à ses invités du jour qu'il ne «retirera pas» son texte et qu'il tenait à «l'équilibre» financier, il s'est montré, selon un syndicaliste, «ouvert à la discussion» pour y parvenir. «Après, il n'a pas dit non plus qu'il enlèverait l'âge pivot !» poursuit le même. Pas de quoi convaincre le leader de la CFDT. «On a de nouveau constaté des désaccords, sans trouver de solutions», a-t-il insisté, se disant «très préoccupé». Il attend désormais la rencontre multilatérale, ce jeudi. Sans illusions : «Pas sûr que d'ici demain quelque chose ait avancé.» De son côté, Geoffroy Roux de Bézieux (Medef), favorable à une mesure d'âge, est ressorti de Matignon en assurant que des «aménagements» sont possibles, afin notamment de «prendre en compte les différences de parcours des individus». «On a fait le constat qu'on n'était pas d'accord», a quant à lui noté Philippe Martinez (CGT), qui reste sur sa ligne et réclame le retrait du projet.

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, à Matignon, mercredi.

Photo Albert Facelly pour Libération

Comment «améliorer» cet âge équilibre ?

Le Premier ministre continue de se dire prêt à revoir sa copie et faire évoluer son âge d’équilibre, à condition que les partenaires sociaux lui proposent une solution permettant de réduire le déficit de l’assurance maladie en 2027.

Mais pour que les syndicats acceptent de jouer le jeu alors que la solution proposée par Edouard Philippe plaît au patronat, l'exécutif doit leur garantir un cadre plus favorable. En les orientant par exemple vers un bonus plus attractif et un malus moins pénalisant. Un tel argument risque toutefois de ne pas convaincre CFDT, Unsa et CFTC, trois syndicats qui ont fait de cet âge d'équilibre une «ligne rouge», surtout si l'outil sert à équilibrer le régime actuel. Une autre solution serait de retarder la date du retour à l'équilibre. «On a déjà fait un pas en proposant 2027 au lieu de 2025 et en proposant que les mesures sociales s'appliquent dès 2022», proteste-t-on à Matignon. Mais ce pas de plus permettrait de répondre à Berger qui dénonce une «mise en œuvre très rapide […] qui va toucher ceux qui ont commencé à travailler jeunes». Le gouvernement pourrait-il accepter un âge pivot moins élevé ou rendre le bonus-malus temporaire, comme l'ont décidé les partenaires sociaux en 2015 pour les régimes complémentaires Agirc-Arrco, où le malus ne s'applique que pour trois ans maximum ? Le scénario pourrait séduire la CFTC, mais la CFDT y est opposée.

Mais tout ceci demanderait d'aller chercher d'autres ressources pour rétablir puis maintenir l'équilibre de la future caisse de retraite universelle. Une hausse modérée des cotisations patronales, notamment pour les plus grandes entreprises, pourrait se justifier : ces dernières vont payer moins de «charges» (au moins 3 milliards d'euros d'économisés selon les estimations) puisque les salariés les mieux payés ne cotiseront plus au-delà de 120 000 euros par an. Cette solution permettrait de reprendre une des revendications portée par la CFDT et l'Unsa. «Les salariés font des efforts, pourquoi pas les entreprises ? interroge Dominique Corona (Unsa). Elles ont eu le CICE, une baisse pérenne de cotisations sociales.» Le Medef en fait une «ligne rouge». «Des discussions sont en cours sur les cotisations», note Cyril Chabanier (CFTC). D'autres «cocktails» pourraient satisfaire les syndicats prêts à négocier : puiser dans les réserves de certaines caisses de retraite ou bien conserver la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) destinée à disparaître en 2024. «Niet» aussi pour le Medef. Alors que la CFDT ne semble pas décidée à se contenter de simples petits «plus» s'ils ne s'accompagnaient pas de concessions plus importantes, le nerf de la guerre reste l'âge pivot.