Le président du groupe LREM a pris toutes les pincettes. S'il a prévu de rencontrer Laurent Berger, avec une petite délégation de députés mobilisés sur les retraites, il ne faut y voir «en aucun cas une instance de négociation parallèle» au canal gouvernemental officiel. Gilles Le Gendre a d'ailleurs tenu à caler ce rendez-vous après le défilé de réunions bilatérales, mercredi à Matignon, et la réunion ce jeudi avec l'ensemble des leaders syndicaux. La rencontre de la majorité avec le leader de la CFDT doit donc se tenir jeudi soir et des contacts ont été pris avec la CFTC et l'Unsa pour se parler, probablement début janvier.
Sans critiquer frontalement l'initiative d'une douzaine de députés qui ont échangé lundi soir avec le secrétaire général de la CFDT dans un café proche de l'Assemblée nationale, Le Gendre leur a suggéré de ne pas monter en épingle ce type de rendez-vous, certes légitimes entre parlementaires et leaders syndicaux mais susceptibles de parasiter les discussions menées par le gouvernement, le «seul négociateur». Mais le patron du groupe majoritaire connaît la position de ses troupes. Unis comme jamais sur la réforme des retraites mais divisés sur l'une des mesures annoncées par Edouard Philippe la semaine dernière : la création d'un âge d'équilibre à 64 ans pour toucher une retraite à taux plein.
«Mettre de côté» la question
S'ils se contentaient, après le discours du Premier ministre, de s'inquiéter de la réaction hostile de Laurent Berger, les doutes sont petit à petit montés dans les rangs LREM sur l'introduction de cette mesure d'âge qui a braqué la CFDT, pourtant favorable à un régime de retraites par points. Et si le gouvernement est seul à avoir la main, la majorité entend peser pour raccrocher les wagons avec les syndicats modérés. Certains ont commencé à exprimer publiquement leurs réserves, comme Cédric Villani qui a estimé, dimanche sur France 3, que «cela ne faisait pas partie de ce pour quoi on faisait campagne en 2017». Ou Barbara Pompili qui, «à titre personnel», souhaite que le gouvernement «mette de côté» la question de l'âge pivot pour «concentrer les discussions sur le fond de la réforme». «Le financement des nombreux droits sociaux est un élément essentiel mais la mesure budgétaire ne peut pas devenir la mesure emblématique de la réforme», a aussi prévenu Sacha Houlié dans les Echos.
Mais les députés réservés sur l'âge pivot cherchent encore la stratégie pour tenter d'amener le gouvernement à retirer – ou à amender largement – la mesure sans donner l'impression de se désolidariser dans ce tournant délicat. «C'est compliqué de sortir maintenant, admet l'un de ces réfractaires à la mesure. Edouard Philippe est dans une séquence de gestion de crise, la réaction immédiate est de resserrer les rangs et je ne peux pas demander au Premier ministre de se dédire en une semaine.» Le même attend – et espère – que le débat se cristallise sur l'âge pivot : «Il faut essentialiser cette question dans l'opinion» de sorte que le gouvernement n'ait d'autre choix que de corriger le tir.
«C’est la micro-aile gauche qui fait de la mousse»
Présent à la rencontre avec Laurent Berger, Jean-François Cesarini met franchement les pieds dans le plat : «Une aile gauche sert peut-être à cela: aider à renouer le dialogue social et être le chaînon manquant avec les syndicats réformistes.» Mais outre les préventions de Gilles Le Gendre, la démarche n'a guère été appréciée par certains de ses collègues qui l'ont fait savoir mardi en réunion de groupe. «On n'est pas convaincus par la mesure et c'est un euphémisme mais ce n'est pas le moment de sortir, on ne veut pas gêner. Les négociations se font autour d'une table, pas dans la presse», résume une députée. «C'est la micro-aile gauche qui fait de la mousse», minimise l'un de ses collègues qui aurait pourtant préféré «sanctuariser la réforme structurelle» sans «s'emmerder» avec une mesure budgétaire ni «allumer une mèche qui n'était pas indispensable». Un ministre ironise : «Des députés pensent jouer les entremetteurs généraux qui vont sauver la réforme… Mais vous connaissez une situation qui s'est résolue comme ça ?»