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Polémique

Passé judiciaire : Ladj Ly porte plainte contre «Causeur» et «Valeurs»

Au moment où «les Misérables» est en lice pour les oscars, les deux médias d’extrême droite ont ressorti de manière erronée un fait divers impliquant le cinéaste : en 2011, il n’a pas été condamné pour «tentative de meurtre», mais pour «séquestration».
Ladj Ly à Cannes, en mai. (Photo Jean-Paul Pelissier. Reuters)
publié le 19 décembre 2019 à 20h36

La temporalité ne doit peut-être rien au hasard. Mardi matin, on apprend que les Misérables est présélectionné dans la catégorie du meilleur film international par l'Académie des oscars. Le soir même, le projecteur se braque sur Ladj Ly : le réalisateur du long métrage, récompensé du prix du jury à Cannes et salué par la critique, aurait passé trois ans en prison, à partir de 2011, pour une sombre histoire de séquestration. C'est le média réactionnaire Causeur qui publie cette information.

En 2009, deux frères, Amad et Mamoudou Ly (sans lien de parenté avec le cinéaste), craignent que leur sœur n'entretienne une relation avec le mari d'une cousine. Les deux hommes, amis de Ladj Ly, s'en prennent à celui qu'ils suspectent, notamment en le kidnappant. Le cinéaste leur aurait prêté main-forte. Causeur, l'hebdomadaire d'extrême droite Valeurs actuelles et une bonne partie de la fachosphère reprennent l'histoire, la font gonfler et la teintent de considérations religieuses, persuadés que le rapt était motivé par la transgression de la charia et des préceptes de l'islam. Et les deux magazines d'écrire que Ladj Ly a été, pour ces faits, condamné à trois ans de prison ferme, notamment pour «tentative de meurtre».

Détention

L'histoire fait écho à des articles de 2011 évoquant une affaire semblable. A une lettre près : il y est question d'un Ladi Ly, et non d'un Ladj Ly. La différence d'orthographe a pu laisser penser que Causeur et Valeurs actuelles relayaient une fausse information. A tort : Ladi Ly et Ladj Ly sont la même personne. De sources concordantes, on sait qu'un «Ladi Ly» – qui est donc le cinéaste – a été condamné au tribunal correctionnel de Bobigny, le 2 mars 2011, pour «séquestration suivie d'une libération avant le septième jour». La peine ? Trois ans d'emprisonnement, soit bien plus que les douze mois de prison ferme requis par le parquet de Seine-Saint-Denis.

Une source judiciaire précise à Libération qu'en appel, en janvier 2012, la culpabilité de Ladi Ly est confirmée, mais que sa peine est réduite à deux ans de prison ferme et un an avec sursis. Un maintien en détention est prononcé. Il faut lire le Parisien daté de l'époque du procès pour avoir plus de détails sur les faits. En janvier 2009, Amad et Mamoudou Ly, accompagnés de Ladj Ly, confrontent leur sœur à son amant supposé. L'homme nie, avant d'être frappé par les deux frères sur le bord d'une route. Selon le récit qu'en fait le quotidien, Ladj Ly ne donne pas de coups et quitte la scène «pensant la situation apaisée». Le Parisien ajoute qu'au cours de l'audience, «seul Ladj Ly, cinéaste qui vit à Montfermeil, a continué à clamer son innocence. "J'ai tout fait pour qu'il n'y ait pas de violences, répète-t-il. Tout le monde était énervé, il fallait régler ça avant que ça prenne des proportions énormes…"»

Contrairement à ce qu'écrivent les médias d'extrême droite – Valeurs actuelles a depuis publié un rectificatif –, Ladj Ly n'a donc pas été condamné pour violence, et encore moins pour «tentative de meurtre». Ni les articles de l'époque ni nos sources judiciaires ne font mention d'un quelconque lien avec la religion musulmane, qui aurait motivé les exactions.

«Gravité»

C'est en réaction à cette double allégation que les avocats de Ladj Ly ont annoncé, par communiqué, leur intention de porter plainte contre Valeurs actuelles et Causeur, pour «diffamation et diffamation raciale», évoquant «de fausses accusations d'une extrême gravité». Les conseils du cinéaste insistent : il a «purgé sa peine» et «aucune violence ne lui était reprochée personnellement dans cette affaire, et a fortiori pas de complicité de tentative de meurtre, ni évidemment d'avoir voulu "faire appliquer la charia".»

Ils s'interrogent, enfin, sur la publication des articles «au lendemain de l'annonce de la prénomination aux oscars» du film les Misérables. Benoîtement, Causeur se défend en conclusion d'un article sur la polémique : «Il ne s'agit évidemment pas pour nous de confondre auteur et œuvre (ou d'appeler à boycotter un film).» La résurgence du passé carcéral du réalisateur pourrait pourtant avoir une influence sur ses chances de remporter l'oscar.

Triste ironie : entre les faits et leur condamnation par la justice, Ladj Ly déclarait au magazine Vice, en 2010, que sans sa caméra, il serait en prison. Outre des documentaires, le il filmait également les violences policières dans les banlieues. Deux ans plus tard, lors du procès en appel de l'enlèvement, son avocat faisait appeler à la barre un «témoin de moralité», selon le Parisien. Et non des moindres, puisque c'était Costa-Gavras qui, devant la cour, était venu saluer en Ladj Ly «un cinéaste de talent».