A -li-gnés ! Contre ceux qui spéculent sur des désaccords entre lui et le chef de l'Etat, le Premier ministre hausse le ton. Les deux têtes de l'exécutif sont, selon lui, parfaitement «alignées», y compris sur la question cruciale de «l'âge d'équilibre». La raideur de Matignon et la souplesse de l'Elysée ? Edouard Philippe a de nouveau contesté ce tableau jeudi à l'issue de sa réunion avec les organisations syndicales. «Vous le savez, l'équilibre financier du système est une priorité pour le président de la République», a-t-il expliqué. «Ni [lui] ni moi ne voulons annoncer les bonnes nouvelles en renvoyant à plus tard les additions», a-t-il ajouté. Bref : c'est bien «sous l'autorité du président de la République» qu'il a fait le choix d'équilibrer le système en fixant un âge pivot.
Remous. S'il insiste tant, c'est que Philippe est exaspéré par les signes de nervosité qui se multiplient au sommet de l'Etat. Alors que l'enlisement menace et que l'opinion reste majoritairement favorable au mouvement, la moindre confidence peut mettre le feu aux poudres. Mercredi matin, la publication d'une dépêche AFP indiquant que «selon son entourage», le Président était «disposé à améliorer» sa réforme, notamment «autour de l'âge d'équilibre» a semé le trouble autour de la table du Conseil des ministres.
Sur le fond, cette information n'était pas neuve. Depuis que la CFDT a fait de l'âge d'équilibre à 64 ans sa «ligne rouge», chacun a bien compris que c'est sur ce point que doit porter la discussion avec Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT. Mais que l'Elysée juge utile de le rappeler une heure à peine avant le début du dernier round de négociation mettait Philippe dans une position embarrassante. Matignon n'est-il pas censé avoir la main ?
Si ce cafouillage insignifiant a provoqué tant de remous, c’est qu’il avait été précédé par d’autres, plus significatifs. Les 8 et 10 décembre, Macron réunissait à l’Elysée les responsables de la majorité pour débattre des ultimes arbitrages. Censés rester confidentiels, les échanges de ces soirées avaient été largement rapportés dans la presse. On apprenait ainsi que Bruno Le Maire avait plaidé pour la souplesse, se fondant sur la douloureuse expérience du contrat première embauche que Dominique de Villepin tenta de faire passer en force en 2006. Ou encore que François Bayrou avait suggéré de confier aux partenaires sociaux le soin de trouver une solution pour remettre le système à l’équilibre.
Raideur. Ces fuites avaient agacé Matignon : difficile d'entrer en négociation tout en laissant entendre, par ailleurs, que l'on est prêt à céder… Assez naturellement, les regards se sont tournés vers Philippe Grangeon, conseiller spécial et bénévole du chef de l'Etat et ex-secrétaire confédéral de la CFDT. «Je suis de la deuxième gauche, réformatrice. D'ailleurs, j'ai toujours ma carte à la CFDT», confiait-il récemment au Monde. Il est aussi le théoricien de «l'acte 2», censé marquer le grand retour des corps intermédiaires. Autant dire qu'on a quelques raisons de le supposer sensible à la position de Berger. «Grangeon ne prend plus personne au téléphone», proteste un de ses proches.
Il est vrai qu'il est loin d'être le seul à critiquer la raideur de Matignon. Dans la majorité, de nombreux députés ne cachent pas leur sympathie pour la position de la CFDT. Berger l'a bien compris : dès la première semaine de janvier, il cherchera du renfort auprès des parlementaires que son syndicat se propose d'«interpeller».