Les grandes villes européennes n'entendent pas se laisser promener par Airbnb, qui multiplie les recours devant les juridictions, notamment la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), dans l'espoir d'éviter tout encadrement de ses activités relatives à la location de logements à destination des touristes. Vendredi, les élus de huit d'entre elles (Amsterdam, Barcelone, Berlin, Bruxelles, Bordeaux, Munich, Paris et Vienne) ont appelé l'UE à modifier en «urgence» sa directive sur le commerce électronique, datant de 2000. Un texte écrit bien avant le développement des plateformes numériques comme Airbnb, dont les activités posent d'énormes problèmes dans certains secteurs, et notamment dans le domaine du logement.
Nuisances. Dans les métropoles européennes et mondiales, des appartements loués il y a encore quelques années à des personnes vivant et travaillant dans ces villes ont été transformés en meublés touristiques à plein temps, loués à prix d'or. Et les propriétaires de ces logements n'ont aucun mal à trouver des clients : Internet permet en effet à une offre locale d'être confrontée à une demande internationale. Les touristes ne manquent pas, et l'appât du gain incite beaucoup de propriétaires à franchir le pas.
Dans le centre de Paris, certains T2 sont loués 1 000 euros la semaine à des vacanciers. Un petit meublé touristique peut ainsi rapporter jusqu'à 4 000 euros par mois si son occupation est optimisée, contre 1 200 à 1 500 euros si ce logement était loué en bail ordinaire. Ce développement anarchique d'appartements pour touristes aggrave la crise du logement dans les grandes villes européennes. A Berlin, comme à Paris ou Barcelone, les élus considèrent qu'il contribue à raréfier l'offre locative ordinaire et à faire grimper en flèche les loyers. «Cela se traduit par une pénurie de logements abordables, car les prix tendent à augmenter lorsque la demande de logement va à la hausse et le parc immobilier à la baisse», pointent ces derniers.
A Paris, la mairie considère que pas moins de 25 000 à 30 000 logements, situés surtout dans les arrondissements du centre, loués jadis à des personnes vivant et travaillant dans la capitale, sont devenus des meublés touristiques à plein temps et en toute illégalité. Un chiffre que conteste Airbnb. La plateforme a transmis à Libération un tableau montrant qu'au total, 5 280 logements (tous arrondissements confondus) ont une activité de meublé touristique régulière. Soit cinq fois moins que ce qu'annonce la mairie. Le problème, c'est qu'il suffit de se rendre dans quelques immeubles des arrondissements centraux pour constater que dans certains d'entre eux, la moitié des logements sont devenus des meublés touristiques. Au point que des conflits d'usage opposent désormais les habitants à l'année, qui se plaignent des nuisances générées par les touristes, à ces derniers : allées et venues incessantes, rythme de vie totalement décalé des uns et des autres, fêtes jusqu'à pas d'heure…
Même constat à Berlin, Barcelone ou Munich. D'où cet appel des villes en faveur d'une «nouvelle directive […] visant à garantir une évolution plus équilibrée des locations de meublés touristiques» en Europe. «Il faut que la Commission européenne se saisisse du sujet pour réécrire le droit, estime Ian Brossat, adjoint (PCF) à la maire de Paris, Anne Hidalgo, en charge du logement. La directive sur le commerce électronique est totalement périmée et inadaptée au vu des problèmes du logement dans nos villes.»
Réalités locales. L'initiative des huit maires intervient au lendemain d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne favorable à Airbnb. La CJUE était appelée à trancher un litige engagé par une association d'hôteliers français, AhTop, qui estime que la plateforme exerce en réalité une activité d'agent immobilier et qu'elle doit donc se conformer à la réglementation qui encadre les professionnels de ce secteur. En clair, les hôteliers considèrent qu'ils sont victimes d'une concurrence déloyale de la part d'Airbnb. Mais la CJUE a estimé que la plateforme n'a rien à voir avec une quelconque activité dans l'immobilier. C'est un «service de la société d'information», au sens de la directive européenne de 2000 sur le commerce électronique, estime la cour basée au Luxembourg.
Une décision qui a amené les élus à considérer que les règles de l’UE en vigueur étaient hors-sol, car en décalage total avec les réalités locales des capitales et métropoles de plusieurs Etats membres. Le Comité européen des régions, qui représente les pouvoirs locaux au sein de l’UE (régions, départements, provinces, villes…) a également envoyé à la Commission européenne un avis unanime demandant la révision de cette même directive.
Conscient qu'il lui sera difficile de continuer à prospérer en ignorant les réalités locales et le point de vue des élus, Nathan Blecharczyk, cofondateur et directeur de la stratégie d'Airbnb, a adressé depuis San Francisco une longue lettre à Anne Hidalgo, qu'a pu consulter Libération. Le dirigeant de la plateforme assure à la maire de Paris que lui et les autres cofondateurs souhaitent «ardemment travailler en bonne intelligence» avec elle. Mais pour la mairie, les preuves de cette volonté sont rares.