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Libération
Chronique «Terre d'actions»

Devenir témoin du climat grâce à une carte participative

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Un an après avoir attaqué l'Etat en justice pour son inaction, l'«Affaire du siècle» veut montrer que les citoyens sont nombreux à être déjà affectés par le dérèglement climatique.
La villa Amélie, à Soulac-sur-Mer (Gironde), en 2015. Dans la commune, plusieurs maisons de bord de mer ont été évacuées à cause de l'érosion des dunes aggravée par le changement climatique. (JEAN-PIERRE MULLER/Photo Jean-Pierre Muller. AFP)
publié le 21 décembre 2019 à 10h16

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«Il y a deux ans, l'ouragan Irma a dévasté l'île de Saint-Martin, aux Antilles, et a totalement détruit ma maison. Et bouleversé ma vie. Jour après jour, je n'arrivais pas à réaliser que mon univers quotidien, les lieux où j'avais mes habitudes, mon confort, avaient été réduits à un tel état de ruines. On a campé dans la maison qui prenait l'eau pendant plus d'un an. On sait qu'avec le réchauffement climatique, on va revivre de telles catastrophes naturelles.» Voici le type de témoignage, raccourci par nos soins, que l'on peut lire sur la carte participative lancée le 18 décembre par l'«Affaire du siècle». Chaque citoyen peut y raconter ses inquiétudes, ses constats, les conséquences directes du changement climatique sur sa vie. En quatre jours, environ 10 000 témoignages ont été saisis, en France métropolitaine mais aussi en outre-mer, en première ligne. «L'objectif est de montrer que le dérèglement climatique est déjà une réalité en France pour des millions de personnes», explique Samuel Leré, responsable plaidoyer à la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme.

Alimenter le recours en justice

Il y a un an, sous le nom de l'Affaire du siècle, quatre organisations environnementales ont lancé une procédure inédite : attaquer l'Etat en justice pour inaction contre le changement climatique. En ce premier anniversaire, «on se rend compte qu'on a perdu un an de plus dans la bataille climatique puisque les grandes mesures nécessaires à la transition n'ont pas été prises», regrette Samuel Leré. D'où l'idée de la carte pour continuer à faire pression. «Plus on pourra cartographier le ressenti de l'impact sur la vie des citoyens, plus on espère que le gouvernement passera à l'action», poursuit-il. Certains des témoignages recueillis sur la plateforme pourront d'ailleurs alimenter le dossier en cours d'instruction. A condition que le citoyen ait coché la case permettant de le contacter à cet effet.

Avant de livrer leur récit, les contributeurs doivent aussi s'acquitter de quelques clics pour sélectionner l'objet du témoignage. Dans le cas où «je suis inquiet mais je ne subis pas d'impact direct», deux classifications sont proposées : «je suis angoissé(e) par rapport à l'avenir» ou «cela m'a fait changer mon mode de vie». Quand les conséquences sont directes, il faut préciser si elles affectent la santé, les revenus, le logement ou la vie quotidienne. Enfin, si l'on perçoit des changements dans la nature, il faut sélectionner soit les plantes, les animaux ou le paysage. Un pictogramme correspondant s'affiche alors sur la carte à l'endroit où réside le témoin du climat. Quand on clique dessus, des petites fenêtres de texte s'ouvrent. Comme celui de Mailys, habitante du bord de mer à Saint-Gilles-Croix-de-Vie (Vendée) : «Nous voyons la mer grignoter de plus en plus considérablement le littoral. Les dunes disparaissent au fur et à mesure des saisons. On le constate dans le paysage mais aussi sur la faune qui s'y réfugiait avant et que nous ne voyons presque plus !»

Un panorama teinté d’angoisse

N'y a-t-il pas un risque d'obtenir un gloubi-boulga d'observations plus ou moins pertinentes ? «L'idée n'est pas de faire des sciences participatives car il y a des choses qui sont de l'ordre du ressenti et du psychologique comme l'éco-anxiété», assume Samuel Leré. Il précise que les témoignages hors sujet, sans lien évident avec le changement climatique, sont modérés a posteriori.

Le panorama est bien entendu teinté d'angoisse. «J'ai honte et peur pour mes petits-enfants», résume Edward, de Saint-Palais-sur-Mer (Charente-Maritime). Eric s'alarme : «18 degrés un 18 décembre à Clermont [Puy-de-Dôme, ndlr]. Où sont passées les quatre saisons ?» Le lendemain, Marie-Béatrice observe qu'à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), «les feuilles des arbres sont tombées il n'y a que quinze jours et il y a déjà des bourgeons : on dirait que les arbres se croient au printemps». «Une adolescente qui étouffe» sous les vagues de chaleur à la Réunion demande : «Combien de morts vous faudra-t-il pour réagir ?» Pour l'Affaire du siècle, ces témoignages sont une preuve supplémentaire des attentes fortes des citoyens et de la nécessité de débloquer des financements. Pas seulement pour atténuer le changement climatique mais pour s'y adapter.