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Libé des animaux

Spa canin : «Ça fait plaisir à la maîtresse, et la chienne s’en fiche»

Dans le XVIe arrondissement, le premier salon parisien de balnéo-piscine pour chiens propose aux maîtres et maîtresses de prendre soin de l’animal aimé, pour «faire comme nous». Un concept importé du monde anglo-saxon, pour le bonheur des «pets parents».
Dans le spa de Passy et son atmosphère surchauffée et bruyante, ça joue du ciseau, les poils volent partout. (Photo Marie Rouge pour Libération)
publié le 23 décembre 2019 à 20h06

Mince, si on avait su on aurait pris le maillot pour se baquer avec Lucy : la piscine est très propre et tiède, la salle sans fenêtre mais lumineuse, il y a des produits de beauté partout, des crèmes, des lotions, des sels de mer, mais ça, c'est pour la baignoire à bulles qui fait aussi bain de boue… oooooooh comme on a hâte que la séance commence. Mais ça n'est pas l'heure encore, en ce mardi de novembre pas très chaud, on remonte à l'étage qui donne sur une des rues chics de Passy, ce quartier si particulier à clientèle huppée, et on papote avec la maman de cette petite personne à manteau qui a des difficultés à obéir : «C'est l'éducation qui compte», explique avec bienveillance Amandine, qui tient le lieu d'une main ferme, comme elle dira avec la même bienveillance à cette dame très chic mais fort inquiète du poids de son petit, «il est pas trop gros, pas du tout, il peut prendre encore 150 grammes».

Médusée

Rappelle-moi brièvement où je suis, si c'est pas un service pédiatrique ou une maison Dolto pour parents égarés ? Eh bien il s'agit juste du premier salon balnéo-piscine canin à Paris, ouvert il y a six ans sur le modèle des spas pour animaux qui fleurissent depuis deux décennies, aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, ces pays merveilleux où on appelle les maîtres des «pets parents». L'endroit n'est pas très grand, à l'image de ces races de petits chiens fort prisés en ville (bouledogues français, boston terriers, shih tzu, chihuahas, etc.) avec une entrée-salon où l'on cause entre amies du petit dernier et de ses facéties, avec toujours le fameux «il a son petit caractère», le magasin façon Monop pour chiens, avec fringues, bouffe, joujoux, produits de toilette.

Photo Marie Rouge pour Libération

Un peu médusée, on se laisse guider dans l'antre du toilettage avec la chaleureuse et souriante toiletteuse, très à son aise avec les animaux qu'elle fait beaux depuis six ans, «à 80 % des petits chiens, et qui n'aiment pas trop ça», précise-t-elle, mais il faut le faire : «Ce sont des chiens très bien entretenus, pas des chiens-poubelles avec des nœuds partout, toilettés à peine une fois par an. Ceux-là font de la peine parce qu'ils risquent d'avoir mal, comme d'aller chez le coiffeur avec des dread-locks.» Ce n'est pas le cas de la chihuhua qui subit, l'air résigné, l'opération shampoo-coupe-brushing dans une atmosphère surchauffée et bruyante à cause de trois séchoirs perchés au-dessus des tables de soins. Ça joue du ciseau, les poils volent partout, c'est une horreur, on coupe court autour des pattes pour ne pas salir et ramener de la boue à la maison, autour du cucul aussi pour bon, euh, pas de dessin, si ? «Il ne faut pas couper trop ras, sinon ils risquent le coup de froid ou de soleil», explique Amandine, et il faut observer le visage du chien, qui exprime des signaux d'apaisement ou d'inquiétude. «Ils n'aiment pas trop ça, mais ils sont très habitués et savent quand c'est fini, avec l'application du sent-bon vanille caramel : ça fait plaisir à la maîtresse, et la chienne s'en fiche.» Ah bon, ça ne la gêne pas ? «Non, ça rentre dans son odorat, ça fait partie du protocole nécessaire de toilettage, elle sait que c'est la fin. En revanche, certaines modes sont catastrophiques pour les chiens, comme la coupe Boo [une espèce de boule, ndlr] pour les spitz, à la mode pour ces chiens-là, mais pas bien pour eux à cause de leurs poils, la coupe n'est pas du tout adaptée.»

«Overdose»

Ah, mais quel est ce bruit de détecteur d'incendie aux piles usées, ce couinement bref un peu flippant surmontant le bruit des séchoirs ? C'est la spitz qui commence à tourner beaucoup la tête, à se crisper les yeux, les oreilles sont basses. «On voit que ça n'est pas plaisant pour elle, analyse la toiletteuse, mais elle hurle, elle peut mordre aussi parfois.» Mais bon, c'est comme aller chez le dentiste. Est-on pour autant dans une forme de maltraitance par excès de bons soins ? «Non, réplique la toiletteuse, parce qu'il faut le faire, et regardez, c'est fini, elle est redevenue toute joyeuse. En revanche, on peut parler de début de maltraitance par overdose d'amour pour "bébé", quand le chien est dépouillé de ses codes canins : poussette pour ne pas poser les pattes par terre, aucune sociabilité ni contact avec les autres chiens, pas de reniflage de pipi pour mettre ses marques, etc. Certains chiens ne sortent pas ou peu, d'ailleurs une de nos meilleures ventes, ce sont les alèses pour sol, pour ne pas les faire sortir. Cela va souvent avec le fait de leur couper les griffes, parce qu'ils ne vont pas à l'extérieur, donc, et ça fait "clic-clic" sur le plancher, ça gêne les voisins.» Et les lingettes, là, c'est pour ? «Eh bien leur essuyer les fesses, parce qu'avant, les gens prenaient des lingettes pour enfants, pas du tout adaptées. Et avec les friandises et les cochonneries que les maîtres leur donnent, ils sont souvent malades, ça les détraque complètement», comprendre, ça leur fout la chiasse. Plaisir du maître, ici, les gens ont de l'argent pour payer des éducateurs, des dogs-sitters, des psys, la femme de ménage (philippine quasi exclusivement) vient chercher les croquettes, les limousines amènent les clebs pour leur séance toilette ou piscine. On y a même vu des chiens d'anciens présidents et de légende de la chanson, mais c'est un peu secret. Les chiens des shootings de grandes marques de fringues viennent faire la beauté avant les défilés, aussi.

Photo Marie Rouge pour Libération

Zut, la piscine de Lucy a été annulée à la dernière minute, c'est le XVIe ici, les maîtres sont les maîtres en tout. Alors on descend avec Amandine, qui explique que si elle se met en combi, le chien, lui, porte un gilet, et zou les deux dans l'eau. «Les chiens pédalent de suite dans l'eau, c'est une séance de trente minutes, avec les bienfaits du sport aquatique comme pour nous, pour les rhumatismes par exemple, explique la toiletteuse. Aussi parce qu'on part bientôt en vacances et que la maison a une piscine, ou alors pour remplacer la balade quand le maître est âgé, comme cette vieille dame qui nous envoie son chien tous les deux jours.» En gros, elle a une ou deux séances piscine et trois balnéos par semaine, ce dernier avatar du sur-bien-être pour chiens «ayant un caractère plus ludique, pour leur faire du bien, comme nous en balnéo, avec des massages aussi, cervicales, bassin, épaule». Ah, c'est ça, c'est le «comme nous» qui chiffonne, non ? Oui et non, en fait, on peut aimer mal, mais jamais trop, tant qu'on laisse le chien à sa place de chien et qu'on lui laisse ses codes de chien.