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Expo

L’hôtel, chambres d’écho

Grand palace ou petite auberge, ils sont plus qu’un simple endroit où passer la nuit. Le Pavillon de l’Arsenal consacre une exposition à ces lieux qui catalysent la ville et reflètent les évolutions de notre société.
Vue d’artiste de la terrasse du So/Sofitel, sur les Champs-Elysées. (Photo Cosa Colboc-Sachet Architectures)
publié le 25 décembre 2019 à 20h06

Drôle d’objet que l’hôtel. Qu’il soit miteux et infesté de puces ou somptueux, qu’il ait pignon sur rue en plein centre-ville ou qu’il donne sur la zone industrielle, l’hôtel s’adapte à tout. C’est le caméléon de la cité. En trente ans, le Pavillon de l’Arsenal qui a déployé des expositions sur tous les genres de problématiques urbaines, ne s’était jamais intéressé à lui. Avec l’expo «Hôtel Métropole», il rattrape.

Loin de se contenter de commenter d'intéressantes architectures, les commissaires, l'architecte et journaliste Olivier Namias et la journaliste économique Catherine Sabbah, ont préféré décortiquer ce qu'ils appellent le «système» de l'hôtel. Ces établissements ne servent pas seulement à passer la nuit : ils sont des acteurs économiques, des lieux d'innovation, des catalyseurs urbains. Du sans étoile dont l'Etat finance les chambres qui logent migrants ou sans-abri, aux palaces rénovés pour le prix de construction d'un stade, l'hôtel est aussi le reflet de la société, dans ses inégalités, ses délires et sa fascination pour la technologie. L'exposition ne porte que sur la région parisienne mais ce périmètre est déjà représentatif : avec 52 millions de nuitées en 2018, l'agglomération capitale se place au deuxième rang européen derrière Londres. Les 2 450 hôtels de région parisienne (dont 1 600 dans la capitale) représentent 150 000 chambres.

Le Meurice, fondé en 1818 par Charles-Augustin Meurice à l'intention des voyageurs britanniques aisés, est considéré comme le premier hôtel parisien moderne et fiable. Jusque-là, le relais de poste se résumait à un endroit dans lequel «une vénale tenancière [était] immanquablement la compagne d'un aubergiste voleur», écrit Olivier Namias dans le catalogue. Plus tard, l'hôtel nouvelle manière se glisse à merveille dans le Paris haussmannien, que ce soit dans l'harmonie architecturale des façades ou dans la logique capitalistique des implantations. Les premières grandes gares s'accompagnent d'un hôtel. Celui de la gare d'Orsay témoigne de cette ambition. Bien avant les logements ou les bureaux des ronds-de-cuir, l'hôtel vit avec son temps. Dans ce XIXe siècle qui croit au progrès, il les saisit tous : eau chaude, chauffage central, salles de bains, premiers ascenseurs, premiers téléphones dans les chambres. Le public parisien assiste à la première projection cinématographique de la capitale dans les salons du Scribe. Les goûts de la clientèle n'évoluant pas aussi vite que la technique, des façades Art déco cacheront longtemps des meubles faux Louis XV.

Après la Seconde Guerre mondiale, l'hôtel continue sa marche vers l'avenir en restant conforme à son temps. Désormais, le progrès vient des Etats-Unis. Il faut des chambres adaptées à une clientèle d'affaires, standardisées et sans surprise désagréable. Le Hilton Suffren (inauguré en 1966), aujourd'hui Pullman, est le premier exemple de ce changement, fraîchement accueilli par la critique. «Onze étages de banalité», écrit le Journal des arts. Pourtant, il avait été soigné. Dessiné notamment par Pierre Dufau et meublé par Raymond Loewy, le bâtiment est finalement entré dans l'histoire de l'urbanisme parisien. Uniformisé, ramené à des ratios de rentabilité, l'hôtel résiste à tout. Il peuple le boulevard périphérique, se glisse dans des immeubles de bureaux. Aujourd'hui, les «boutique-hôtels» prétendent offrir une «expérience». L'exposition de l'Arsenal donne envie de poursuivre la visite logiquement. En allant à l'hôtel.

Du neuf avec du vieux

L'hôtel est le programme idéal pour reconvertir des immeubles tertiaires. Les bureaux deviennent des chambres, les salles de réunion, des spas… Le patrimoine cédé par la puissance publique, comme l'Hôtel-Dieu à Lyon, débouche sur des établissements grand luxe. «Pourvoyeurs d'espaces atypiques, offrant un storytelling clé en main, les édifices existants possèdent souvent cette identité faisant de l'hôtel un lieu de destination à part», écrit l'architecte et journaliste Olivier Namias. Le garage qui abritait les locaux de Libération va ainsi devenir un hôtel Life. Un storytelling clé en main…

Le mythe du «Garni»

L'hôtel meublé, le «garni», la chambre au mois ou à la semaine, la taulière qui réclame son oseille, le locataire qui file à la cloche de bois… La littérature et les films sont remplis de ces situations romanesques. De fait, pendant longtemps, l'hôtel a été la première étape des travailleurs migrants, des provinciaux débarqués à Paris, voire des artistes. «L'hôtellerie économique a joué le rôle d'un amortisseur dans les périodes de manque de logement», écrit Catherine Sabbah dans le catalogue de l'exposition. Mais voilà : «Cette soupape de sécurité s'est transformée en réservoir permanent.» Près de 15 % des chambres d'hôtel servent à loger des étrangers en attente d'un statut, des jeunes en rupture ou en errance, des précaires. L'hôtel meublé était un tremplin, il est devenu «une nasse». L'Ile-de-France compte autant de places en hôtels qu'en centres d'hébergement (40 000). «Le service proposé par ce parc hôtelier extensible en fonction des besoins n'est pas adapté mais il est irremplaçable et représente à la fois une solution et un problème», écrit encore Catherine Sabbah. La solution est surtout pour les propriétaires de ces hôtels sans étoile, sans remise aux normes et sans ménage ou presque (17 à 23 euros par personne et par nuit réglés par l'Etat, 200 millions par an). La bonne affaire.

Les Fantaisies d’Accor

Peut-on échapper au groupe Accor ? Avec 142 établissement en Ile-de-France et une vingtaine de marques - qui vont de F1 à Raffles en passant par les célébrissimes Ibis, Mercure ou Sofitel - le leader de l’hôtellerie de chaîne fondé en 1967 par Paul Dubrule et Gérard Pelisson n’est pas évident à contourner. D’autant plus que, ces derniers temps, il s’est aventuré dans des terrains moins standardisés en s’offrant des fantaisies comme le Mama Shelter ou les auberges de jeunesse Jo & Joe. Accor, c’est d’abord l’application des préceptes de l’hôtellerie efficace à l’américaine : standardisée et placée sur les voies du business, près des aéroports, sur les axes routiers, dans les zones d’activité. Il y a des industriels derrière les procédés de préfabrication de ces bâtiments mais aussi des architectes qui développent des prototypes reproductibles partout.

L’art du rendement 

Le revenue per available room ou RevPAR est un malin calcul de rentabilité établi à partir du coût de la chambre, de son prix de vente au client et de son taux d'occupation. Là-dedans, pas de doigt mouillé : l'optimisation de «l'espace chambre» est l'art consommé des chaînes d'hôtels. Depuis 9,3 m2 au YotelAir de l'aéroport Charles-de-Gaulle pour passagers en transit jusqu'aux 123 m2 de la suite au Bristol, la fourchette est large mais jamais hasardeuse. Prix moyen de la chambre en Ile-de-France : 145 euros. Dans Paris : 200 euros. La capitale est en troisième position européenne derrière Genève et Londres et parmi les nuits les plus chères du monde. Avec le yield management venu de l'aérien, les prix bougent continuellement.

Le long du périphérique

L’hôtel de bord de périph’ est né avec l’infrastructure, en 1973. Au début, l’offre est conforme à l’environnement : pas plus d’une ou deux étoiles, toujours du côté banlieue (moins cher) avec Formule 1 ou Etap dans le rôle de l’archétype. Exception : un Novotel (quatre étoiles aujourd’hui) est placé dès 1973 au cœur des dix-neuf ponts et viaducs de l’échangeur de la porte de Bagnolet. La couverture du périphérique à certaines portes de Paris et la mise sur le marché de terrains du côté de la capitale, à partir de 2008, change la donne. Le foncier devient trop cher pour bâtir du bas de gamme. Les nouveaux établissements montent dans les étoiles et dans les étages. Finalement, 157 hôtels se répartissent le long du périphérique et même les plus flapis gardent des taux de remplissage et de rentabilité excellents.

Coûteux Palaces

Quand le George V, avenue Montaigne, propriété du groupe Four Seasons, a été rénové en 2001 pour 80 millions d’euros, la somme a semblé époustouflante. Comparée à celles qui vont être dépensées dans la décennie qui suit, elle est minable. Près de 500 millions d’euros pour rafraîchir le Crillon place de la Concorde, 430 millions pour acheter l’ex-hôtel Majestic de l’avenue Kléber et cela, sans même avoir dépensé le premier euro de la transformation qui va en faire le Peninsula en 2014. Dans la liste des rénovés : le Meurice, le Ritz, le Lutetia. A venir : le Bulgari, avenue George-V et le Cheval blanc, dans l’ancienne Samaritaine. Le coût de la rénovation par chambre dans ces établissements - top secret - frôlerait le million d’euros. Dans ce type d’hôtellerie, le bénéfice ne se fait pas sur le prix de la nuitée mais plutôt lors de la revente de l’hôtel. Enfin, plus raffinée encore que le palace, la résidence de luxe sans enseigne, connue des seules stars. Quoique parfois aussi des malfaisants, comme ceux qui ont délesté Kim Kardashian de ses bijoux en octobre 2016 à l’une de ces adresses.