Qui n'a jamais utilisé une vieille porte pour en faire une rallonge de table ? Apparemment, toute la profession du bâtiment. Le réemploi de pièces démontées sur des chantiers de démolition et pouvant encore servir est tellement exceptionnel que le Moniteur consacre cette semaine un article au 45, rue de Miromesnil, à Paris, immeuble de onze logements sociaux dans lequel la régie immobilière de la ville de Paris (RIVP) «expérimente un écomobilier en bois récupéré».
En l'espèce, des façades de meubles de cuisine, des étagères et la porte du placard de l'entrée, composées du chêne dont une caserne militaire du fort d'Aubervilliers avait été équipée en son temps. Lors de sa réhabilitation, une partie de ce bois a été récupéré par la start-up Pimp your waste, spécialisée dans le réemploi de matériaux. «Nous avons répondu à l'appel d'offres de la RIVP», explique Eric Dorléac, l'un des quatre fondateurs.
«La promotion du réemploi est une démarche de la ville de Paris et la RIVP a repris la balle au bond», précise de son côté Didier Drummond, l'architecte de l'opération. Il a préconisé d'employer ces matériaux «surtout dans la cuisine parce que dans le logement social, c'est un domaine assez abandonné par les gestionnaires». En général, l'équipement des cambuses est si nul que «ça se termine chez Ikea avec des trous dans les murs». Mais pour le moment, le réemploi «est plus cher», constate-t-il.
Il y a une absurdité économique là-dedans. D'un côté, «le secteur du bâtiment est le plus gros générateur de déchets», résume Eric Dorléac, de Pimp your waste. De l'autre, on pose quantité d'éléments neufs sur des immeubles en construction alors qu'une bonne partie de ce qui part à la benne pourrait faire l'affaire. Cycle Up, autre start-up, a ainsi mis au point une plateforme réservée aux professionnels où les démolisseurs proposent à la vente des robinets, des WC, des interrupteurs, des moquettes, des faux plafonds et tout un bazar d'autres choses ayant encore une valeur d'usage et une valeur marchande. Ce jour par exemple : 9 mètres linéaires de garde-corps en fer forgé, 233 portes standards vitrées, 1 199 grilles de ventilation… «27 778 produits», trompette le site.
Laboratoire
Le réemploi n'est pas le recyclage. Pas de broyage, de transformation en panneaux de particules ou isolants. «Nous récupérons les pièces telles quelles et nous essayons d'intervenir un minimum dessus. Le réemploi, ce n'est pas forcément celui de la palette [souvent broyée, ndlr]», explique Eric Dorléac. Comment déniche-t-on les pièces ? «Nous avons commencé à nouer des partenariats avec de grandes entreprises comme Bouygues construction sur quelques chantiers pilotes. Ils paient pour mettre leurs déchets en benne.» Pimp up va les soulager de «1% de ce qu'ils brassent, c'est petit mais notre stockage est limité». La start-up fabrique aussi des meubles à partir de ces bois dans le cadre d'emplois d'insertion.
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En 2015, les architectes d'Encore heureux avaient construit un ravissant édifice entièrement composé de pièces de réemploi, dont toutes les portes d'une tour HLM démolie qui formaient les murs. Ce pavillon circulaire était un laboratoire, ou un manifeste. Dans la crèche Justice (du nom de la rue) de l'architecte Jean Bocabeille, des «palettes de manutention à usage unique» ont été transformées en moucharabiehs pour filtrer le soleil. Le projet s'appelle «Plus avec moins».
Entre un pavillon expérimental démonté depuis longtemps, de valeureuses start-up et quelques opérations architecturales qui tentent le coup, le réemploi de «ce qui peut encore servir» comme on disait dans le temps, a encore du chemin à parcourir.