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Polémique

Affaire Matzneff : le parquet de Paris s'autosaisit

Une enquête préliminaire pour «viols commis sur mineur de moins de 15 ans» a été ouverte jeudi, jour de la parution du «Consentement» de Vanessa Springora, contre l’écrivain, aujourd’hui âgé de 83 ans.
Gabriel Matzneff, en 1990. (PIERRE GUILLAUD/Photo Pierre Guillaud. AFP)
publié le 3 janvier 2020 à 17h35

Vu le contexte post-MeToo et l'émoi suscité par le témoignage de Vanessa Springora, qui raconte dans son livre le Consentement (éditions Grasset) comment elle a été séduite par Gabriel Matzneff alors qu'elle avait à peine 14 ans, la nouvelle ne surprendra pas : une enquête préliminaire pour «viols commis sur mineur de moins de 15 ans» a été ouverte jeudi contre l'écrivain, aujourd'hui âgé de 83 ans. Vanessa Springora a indiqué ne pas vouloir porter plainte et les accusations qu'elle porte dans son roman se heurtent à un problème de prescription : les faits qu'elle relate remontant à la seconde moitié des années 80. Mais le parquet de Paris pouvait s'autosaisir de l'affaire dans le cadre d'une enquête d'initiative, et l'a donc fait.

«Identifier toutes autres victimes»

Cette procédure a été confiée à l'Office central de répression des violences faites aux personnes (OCRVP), a annoncé le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, dans un communiqué. «Au-delà des faits décrits par Vanessa Springora», elle s'attachera «à identifier toutes autres victimes éventuelles ayant pu subir des infractions de même nature sur le territoire national ou à l'étranger» – sachant que Gabriel Matzneff n'a jamais caché son attirance pour les «moins de 16 ans», ni pour le tourisme sexuel avec de jeunes garçons en Asie, racontée dans de nombreux ouvrages. Peu après l'annonce du procureur Rémy Heitz, les secrétaires d'Etat à l'Egalité femmes-hommes et à la Protection de l'enfance, Marlène Schiappa et Adrien Taquet, ont appelé «toutes les personnes ayant connaissance d'actes pédocriminels commis dans cette affaire ou dans d'autres à se manifester auprès de la justice pour que les victimes puissent être reconnues comme telles». 

Dans le Consentement, paru jeudi, Vanessa Springora (47 ans, actuellement à la tête des éditions Julliard) décortique et analyse sa liaison avec Matzneff («un ogre»), la passion réciproque, le phénomène d'emprise physique comme psychologique, l'impact produit sur sa vie (dépression, addiction), et questionne l'impunité dont l'écrivain a pu bénéficier («Il faut croire que l'artiste appartient à une caste à part, qu'il est un être aux vertus supérieures auquel nous offrons un mandat de toute-puissance, sans autre contrepartie que la production d'une œuvre originale et subversive, une sorte d'aristocrate détenteur de privilèges exceptionnels devant lequel notre jugement, dans un état de sidération aveugle doit s'effacer»). Et de fait, depuis une semaine, la tolérance du milieu littéraire (et d'une partie de la société française) à l'endroit de Gabriel Matzneff, alimente les débats.

Matzneff, chagrin que pour lui-même

La réaction de l'écrivain lui-même ne risque pas de les apaiser : dans une lettre adressée à Vanessa Springora et publiée jeudi dans l'Express, Gabriel Matzneff n'est que chagrin pour lui-même, dans l'incompréhension totale de ce qui lui est reproché. Il a pris la publication du Consentement «comme un coup de poignard dans le cœur», ne le lira pas par crainte d'avoir «trop mal», et ce qu'on a pu lui en dire est aussi cruel qu'injuste, «un portrait dénigreur, hostile, viré au noir, destiné à me nuire, à me détruire ; où, utilisant un pesant vocabulaire psychanalytique, elle tente de faire de moi un pervers, un manipulateur, un prédateur, un salaud. Un livre dont le but est de me précipiter dans le chaudron maudit où ces derniers temps furent jetés le photographe Hamilton, les cinéastes Woody Allen et Roman Polanski».