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Libération
Paris

Usagers : «Si la grève repasse en mode hard core, je réutiliserai le télétravail»

Partagés entre lassitude et soutien aux grévistes, les Franciliens se préparent à une nouvelle semaine de mobilisation.
Gare de Lyon à Paris. (Photo Stéphane Lagoutte. Myop)
publié le 5 janvier 2020 à 20h46

Ses vacances, Kadidia ne les a pas vues passer. «J'ai pris cinq jours, mais je peine à récupérer physiquement», explique cette agente de voyage pour American Express. Le mois de décembre a été rude pour l'habitante d'Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), qui travaille près de la gare de Lyon à Paris. Le mouvement social dans les transports en commun a rallongé son trajet quotidien de deux heures. Mais c'est surtout le «stress» pour attraper le dernier RER du jour et la «cohue des correspondances» qui laissent la femme de 49 ans éreintée. «C'est toi et ta chance. On est souvent bloqué dans les escaliers et il faut laisser passer au moins deux trains avant d'accéder au quai. A l'intérieur, c'est l'enfer, on est compactés, on a le droit aux sacs à dos dans la tête, tout le monde s'énerve.» Kadidia en a été quitte pour une séance d'ostéopathie, «tellement on [lui] a déboîté le dos». Elle «appréhende» ce lundi de rentrée, craint de «repartir sur des bousculades, des cris et des insultes». Antoine, responsable commercial de 26 ans, formule les mêmes appréhensions. «On ne voit pas le bout de ce conflit social», explique le jeune homme, qui part de son domicile «à 7 heures du matin au lieu de 8 heures». Il développe : «Quand tu sors de ton lit, tu es déjà dans une spirale négative, parce que tu galères à aller au boulot. C'est stressant, éreintant.» Sans compter que le soir, Antoine ne peut pas quitter son bureau «plus tôt que d'habitude». Quant aux sorties, verres et autres restos, il ne «planifie plus rien». Tous ces calculs pour parvenir à rentrer chez soi, «ça démotive».

«Tactique». Face à ces nouvelles conditions de transport, Alexandre, salarié d'un cabinet d'études, s'est «très vite mis au Vélib, avec assistance électrique bien entendu», vingt-cinq minutes aller, vingt-cinq minutes retour. «Le tramway était vite devenu un supplice infernal», se souvient-il, imageant un «effet Moïse inversé», «avec de moins en moins de place pour laisser sortir la marée humaine» et des rames remplies d'une foule «tendue».

Nicolas, qui travaille dans le secteur bancaire à la Défense, avoue «bien [s'en sortir]» : «Depuis Noël, je prends un Transilien qui me fait arriver au boulot en trois quarts d'heure, cinq à dix minutes de plus qu'à l'accoutumée. Si la grève repasse en mode plus hard core, je réutiliserai le télétravail, je l'ai beaucoup fait en décembre grâce au soutien de mes managers.» Seule limite : les «jalousies» que cela peut susciter du côté des collègues qui n'y ont pas le droit.

Face aux revendications des grévistes, les positions varient. Kévin, salarié dans le secteur bancaire, est en faveur de la réforme des retraites. Alors, même si son trajet, rallongé de vingt à trente minutes «commence à être pénible», il ne veut pas «craquer maintenant, pas après tout ce qu'on a subi», juge-t-il. Georges, cadre de 26 ans dans le secteur pharmaceutique, dit à l'inverse «comprendre que les gens protestent» : «Mais je ne sais pas si le mouvement va gagner son combat avec cette tactique de rallonger la durée de la grève.» Plutôt que de «paralyser les transports», il serait partisan de «manifestations ponctuelles et massives». Alexandre, lui, aimerait «faire grève», mais «en tant que débutant dans le monde du travail», il a peur que ça lui «retombe dessus».

«Surréaliste». Agathe, 19 ans, soutient aussi la grève, en dépit des conséquences sur son quotidien. Etudiante en licence de philo à Paris, cette résidente de Corneuil (Eure) craint de ne pas pouvoir passer ses partiels, censés se dérouler du 8 au 10 janvier. «Même si j'arrive à avoir un train le matin, je ne sais pas du tout si je pourrai repartir le soir. Je n'ai personne chez qui dormir, pas le permis, bref, aucune solution. J'ai trop peur d'avoir un zéro d'office alors que je n'y suis pour rien.» Elle soupire : «Il n'y a aucune communication de l'université, c'est un peu angoissant et surréaliste.» Même incrédulité chez Blaise, en master 1 de droit à Nanterre : «Les partiels avant les vacances avaient été reportés, mais nous revoilà dans la même situation.» Lui s'en «remet» à la RATP, mais s'inquiète pour ses examens : «C'est quand même sur la base de ces notes que je vais être sélectionné pour la deuxième année.»