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Procès

«Charlie Hebdo» : aux assises, un enjeu cathartique

Attentats de «Charlie Hebdo» et de l’Hyper Cacher : un procès hors normedossier
Du 4 mai au 10 juillet, quatorze personnes, aux liens souvent ténus avec les terroristes, occuperont le box des accusés.
Place de la République, le 10 janvier 2015. (Photo Johann Rousselot pour Libération)
publié le 6 janvier 2020 à 21h11

Comme pour les tueries de Mohammed Merah, du 13 Novembre ou de la promenade des Anglais, le procès des attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, qui s'ouvrira le 4 mai à Paris, se fera sans les assassins. Abattus lors d'assauts particulièrement périlleux pour le GIGN et le Raid, les frères Kouachi et Amedy Coulibaly ne répondront pas de leurs actes. Dès lors, aussi important soit-il au plan sociétal et cathartique, l'enjeu judiciaire du procès apparaît relatif. Avec le risque, soulevé par certains avocats de la défense, de voir leurs clients lourdement condamnés au nom d'une injonction à la fermeté et à l'exemplarité qui emporte tout.

«Substitution»

Lors des deux procès d'assises dédiés aux crimes de Merah en 2012, le conseil de son frère Abdelkader n'a eu de cesse de dénoncer le spectre «du coupable de substitution». Eric Dupond-Moretti était allé encore plus loin, assurant qu'Abdelkader Merah n'aurait jamais été renvoyé devant la justice si son cadet, abattu à la suite d'un assaut ultraviolent de plus de trente-deux heures, était encore en vie. Si cette appréciation, consubstantielle au travail de défense, peut se discuter, la lourdeur des peines prononcées en appel est éloquente. Acquitté du chef de «complicité d'assassinat» en première instance en 2017, Abdelkader Merah a écopé d'une peine de 30 ans de réclusion en appel, le 18 avril. Renvoyé à ses côtés pour avoir fourni des armes au «tueur au scooter», Fettah Malki, dont la connaissance du projet terroriste de Merah n'a jamais été formellement démontrée, a été condamné à 14 ans en première instance, sentence ramenée à 10 ans en appel.

La même configuration s’applique au dossier des attentats de janvier 2015. A ceci près que les liens avec les tueurs sont encore plus ténus. Parmi les 14 accusés, il n’y a que des amis ou des connaissances plus ou moins proches, à l’exception notable de Hayat Boumeddiene, l’épouse religieuse d’Amedy Coulibaly. Le 2 janvier 2015, elle s’est envolée pour la Syrie via Madrid avec Mehdi Belhoucine. Tous deux, comme l’aîné des Belhoucine, Mohamed, mentor de Coulibaly, seront jugés en leur absence. Si les deux jihadistes sont présumés morts sur le théâtre irako-syrien, le sort de Boumeddiene continue d’intriguer les services de renseignement. Selon nos informations, ils sont sans nouvelles de la Française depuis de long mois. Sa mort est donc une hypothèse crédible, à défaut d’être certaine.

Labyrinthe

Celui qui risque la peine la plus lourde est un Franco-Turc de 34 ans, Ali Riza Polat. Né à Istanbul, il s'est rendu à de nombreuses reprises dans un garage de Charleroi, en Belgique, avec Amedy Coulibaly, manifestement pour acheter des armes. Afin d'avancer masqués, les deux hommes se sont fait appeler «Ali Kemal» et «Mourad» tout au long des négociations. Leur dernière virée remonte au 3 janvier 2015, quatre jours avant la tuerie de Charlie. Ali Riza Polat apparaît donc comme le trait d'union entre les Kouachi et Coulibaly, ce qui lui vaut d'être renvoyé pour «complicité» dans les deux attentats.

Pour les dix autres accusés, âgés de 29 à 49 ans, la cour d’assises spéciale devra naviguer dans le labyrinthe des actes préparatoires. L’un des plus impliqués, Nezar A., a laissé son ADN à l’intérieur de l’un des gants saisis à l’Hyper Cacher, ainsi que sur un revolver et un pistolet automatique Tokarev découverts dans la planque d’Amedy Coulibaly à Gentilly (Val-de-Marne). Seul l’un des accusés, Christophe R., échappe aux poursuites pour «association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme».

Reste, évidemment, à savoir qui a commandité les tueries. Si Al-Qaeda dans la péninsule arabique (Aqpa) a revendiqué la fusillade qui a décimé Charlie Hebdo, c’est à l’Etat islamique (EI) qu’Amedy Coulibaly avait fait allégeance. Rare opération où ces organisations, d’ordinaire concurrentes, apparaissent conjointement en raison des parcours asymétriques de leurs affidés. En 2011, l’un des frères Kouachi s’était rendu au Yémen, pays dans lequel il aurait pu rencontrer un vétéran du jihad francophone, Peter Cherif. Ce dernier, cueilli à la surprise générale le 16 décembre 2018 à Djibouti, est désormais incarcéré en France. Mais son cas ayant été disjoint, il ne sera pas, du 4 mai au 10 juillet, dans le box des accusés.