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Retraites

Le monde de la justice paralysé par la grève des avocats

Inédit par son ampleur et sa durée, le mouvement des robes noires, qui refusent de cotiser plus pour gagner moins à la retraite, a des répercussions sur toute l’activité judiciaire, des gardes à vue aux audiences.
Lors de la manifestation des professions libérales contre la réforme des retraites, à Paris le 16 septembre. (Photo Albert Facelly)
publié le 7 janvier 2020 à 20h46

Pour certains barreaux, comme au Mans, c'est du jamais-vu : une grève d'une semaine a été votée lors de l'assemblée générale des avocats, lundi. Près de 80 robes noires ont ainsi choisi de rejoindre le mouvement de fronde contre la réforme des retraites. Contacté par Libération, le bâtonnier du Mans, Me Boris Marie explique : «C'est la durée de l'action qui est inédite, mais aussi le fait que c'est une grève totale.» Dans la pratique, cela signifie que toute l'activité judiciaire est touchée : le civil, le pénal, les affaires familiales, le tribunal pour enfants, les gardes à vue.

«Chaos»

«Les débats ont été houleux avant le vote, notamment pour les conséquences que cela peut susciter comme dans les dossiers aux affaires familiales», poursuit le bâtonnier. Selon lui, plus encore que le projet de loi sur les retraites, c'est le «contexte général» qui a convaincu les avocats de marquer le coup : «On a une réforme de la procédure civile qui n'est pas prête, c'est le chaos, et une ministre qui ne défend pas les valeurs du droit.»

Ces derniers jours, les assemblées générales se sont multipliées partout en France, et de nombreux barreaux ont décidé de faire «Justice morte» pendant une semaine, comme à La Rochelle, Lyon, Bordeaux, Béthune ou Bastia. Dans le Val-de-Marne, la grève des audiences est prévue jusqu'au 13 janvier, date de la prochaine assemblée générale. A Paris, deux jours de grève ont été décrétés, le conseil de l'ordre devant ensuite se réunir pour décider de la suite. La «grève dure» prônée par le conseil national des barreaux (CNB) et la conférence des bâtonniers est donc suivie. «En refusant tout dialogue, le gouvernement porte seul la responsabilité des conséquences de ce mouvement sur le fonctionnement de la justice et sur les droits des justiciables», justifient ces instances dans leur communiqué du 30 décembre, appelant les 70 000 avocats de France à «cesser toute activité judiciaire» à partir du 6 janvier et jusqu'à nouvel ordre.

Pagaille

Cela revient notamment à demander des renvois pour les audiences pénales et civiles, ou à arrêter les désignations d’avocats en matière d’aide juridictionnelle, pour les gardes à vue, les étrangers et les mineurs. De quoi créer une sacrée pagaille dans des juridictions déjà engorgées, et qui tournent désormais au ralenti. A l’heure où Edouard Philippe a fait quelques concessions au principe d’universalité envers les pilotes d’avion ou les policiers, les avocats espèrent à leur tour faire plier le gouvernement et le convaincre de renoncer à l’intégration de leur régime autonome de retraite dans le régime universel.

Selon MDavid van der Vlist, secrétaire général du Syndicat des avocats de France (SAF), un avocat à la retraite perçoit actuellement, au minimum, 1 416 euros par mois. Après la réforme, ce montant tomberait à 1 000 euros alors que les cotisations doubleraient, passant de 14 % à 28 % pour ceux qui gagnent jusqu'à 40 000 euros. «En résumé, on perdrait 400 euros avec un doublement des cotisations. Ça ne nous va pas du tout, s'agace-t-il auprès de Libération. La réforme va casser l'accès au droit, entraîner la mort de petits cabinets qui ne peuvent pas se permettre de doubler les cotisations.»

Le 11 décembre, Edouard Philippe a indiqué que la cagnotte de plus de deux milliards d'euros de la Caisse nationale des barreaux français ne servira pas à financer le régime général. Sans pour autant apaiser la fronde. «Ça n'a rien d'une concession, comme ils ne peuvent pas nous la prendre, ils nous disent de l'utiliser pour limiter l'augmentation des cotisations», note David van der Vlist. «Notre position, c'est non au régime universel. Notre régime autonome a fait ses preuves depuis plus de cinquante ans», a affirmé à l'AFP Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB. La situation semble aujourd'hui bloquée entre le gouvernement et la profession. Mardi, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a invité, sur BFM TV, les syndicats à «continuer à dialoguer plutôt qu'à bloquer le fonctionnement des juridictions».