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Libération
Démission

A Marseille, l'adjointe au logement jette l'éponge

Arlette Fructus, adjointe de Jean-Claude Gaudin depuis onze ans, a démissionné de sa délégation. Elle dénonce les insuffisances de la municipalité en matière d'habitat.
Le ministre Julien Denormandie et Arlette Fructus, adjointe au logement à Marseille, le 21 janvier 2019, lors de la visite d'un appartement mis à la disposition des habitants dont l'immeuble s'est effondré rue d'Aubagne. (BORIS HORVAT/Photo Boris Horvat. AFP)
publié le 8 janvier 2020 à 19h36

Cette fois, les critiques pointant les lacunes et les failles de la politique de l’habitat de Jean-Claude Gaudin viennent de son propre camp. Et même d’une proche du maire de Marseille, très au fait de ces questions au sein de l’équipe municipale, puisqu’il s’agit d’Arlette Fructus, son adjointe en charge du logement, de la politique de la ville et de la rénovation urbaine.

Lundi, dans un courrier adressé au maire, elle a annoncé qu'elle rendait sa délégation. «La coupe est pleine» a déclaré l'élue à la Provence, qui a rendu publique sa lettre. Cette démission de l'exécutif marseillais – Arlette Fructus reste conseillère municipale – vient ternir davantage encore le bilan de Jean-Claude Gaudin, qui a passé un quart de siècle à la tête de Marseille, où 40 000 logements sont considérés comme en péril ou insalubres, soit un habitat sur dix.

Familles toujours en attente

En dépit du drame de la rue d'Aubagne, où deux immeubles s'étaient écroulés sur leurs habitants en novembre 2018, faisant 8 morts, le logement n'est toujours pas considéré comme une priorité, dénonce l'adjointe démissionnaire. Il en va ainsi de la situation des 4 000 personnes délogées de 400 bâtiments considérés comme dangereux, et évacués dare-dare, semaine après semaine, par peur d'une nouvelle catastrophe. Certains doivent faire l'objet de travaux de sécurisation permettant un retour de leurs habitants. Mais les choses traînent. Ou alors les gens sont réintégrés dans leurs taudis, la mairie s'assurant juste que l'immeuble ne menace de s'effondrer. Et puis il y a les occupants évacués à titre définitif, de bâtiments présentant un danger imminent, promis à des opérations de démolition-reconstruction. Leurs habitants ont été hébergés «provisoirement» à l'hôtel, parfois loin de leur quartier d'origine, avec une promesse d'un relogement digne et rapide, pas trop loin de là où ils résidaient.

Mais ces belles paroles peinent à se concrétiser. De nombreuses familles sont toujours dans l'attente d'un vrai logement. «Mon engagement dans la gestion de cette crise a été total. Mais la charte du logement que j'ai fait adopter à l'unanimité au conseil municipal n'est jamais appliquée, déplore Arlette Fructus, citée par la ProvenceOn ne me donne pas les moyens de donner des réponses aux questions qu'on me pose. Cette délégation est devenue intenable.»

A deux mois des municipales, elle a donc décidé de jeter l'éponge. Dans une interview au site d'information Marsactu, l'élue va encore plus loin en racontant – de l'intérieur – toutes les défaillances de la politique municipale. Il en va ainsi des réunions où il est question de mettre en œuvre les engagements figurant dans la charte, mais dans lesquelles elle est la seule adjointe présente, aux côtés de fonctionnaires municipaux qui n'ont aucun pouvoir de décision. D'autres élus comme Julien Ruas – qu'elle refuse de citer –, l'adjoint en charge de la prévention et de la gestion des risques urbains, pratiquent la politique de la chaise vide alors que leur action est indispensable pour un bon avancement des dossiers.

 «Défaillances de la municipalité»

«La question du logement n'a jamais été une priorité municipale. Les budgets successifs qui ont été consacrés à ce sujet en attestent. Ils étaient notoirement insuffisants, critique l'élue. Ce n'est pas uniquement la question du maire mais celle de l'équipe municipale. Quand je lui ai fait part de ma décision, Jean-Claude Gaudin m'a dit qu'il la regrettait, qu'il aurait aimé que je poursuive jusqu'en mars. Mais comment faire cela alors que la situation des personnes évacuées ne s'améliore pas», interroge-t-elle. «J'ai été tout le temps seule. Je l'ai dit deux fois publiquement, y compris en conseil municipal».

Dans un communiqué publié mardi par la mairie, Jean-Claude Gaudin affirme qu'Arlette Fructus a bénéficié d'un «soutien administratif» des services municipaux dans la mise en œuvre de la charte et que les motifs invoqués par l'élue ne constituent pas «un motif suffisant ou définitif pour renoncer à sa délégation». Or, dans son interview à Marsactu, l'adjointe démissionnaire pointe justement l'absence d'implication politique des élus qui empêche les dossiers d'avancer. «Cette démission démontre de manière irréfutable les défaillances de la municipalité en matière de politique de l'habitat, et de gestion de la crise humanitaire et sociale après l'évacuation des habitants des immeubles en péril qui se retrouvent dans des situations très précaires, souligne Emmanuel Patris, l'un des responsables de l'association Un centre-ville pour tous et membre du Collectif du 5 Novembre, qui accompagne les nombreux délogés marseillais. Mais Arlette Fructus était adjointe depuis onze ans et elle a toujours défendu la politique municipale.» Sous entendu, l'abandon de sa délégation, à deux mois des élections, est bien tardif.

Pour la remplacer comme adjointe au logement, Jean-Claude Gaudin a décidé de nommer Laure-Agnès Caradec. Cette dernière, qui est aussi présidente d’Euromed, l’établissement public qui a aménagé des secteurs du centre de Marseille, est perçue par les milieux associatifs phocéens comme l’une des responsables de la politique de gentrification de la ville.