«On se bat pour vos enfants, pour que la situation ne se reproduise pas», a martelé Sylvie Harel à la sortie du tribunal administratif de Lyon, ce mercredi. Depuis le décès de sa fille, Mauranne, 20 ans, et de sa nièce, Laura, 22 ans, poignardées sur le parvis de la gare Saint-Charles de Marseille le 1er octobre 2017, la mère de famille se démène pour faire reconnaître la «responsabilité de l'Etat» dans ce drame.
Le meurtrier, Ahmed Hanachi, 29 ans, avait été abattu par un militaire peu de temps après son geste, revendiqué plus tard par l'Etat islamique. Etudiantes à Marseille et à Lyon, les jeunes femmes avaient décidé de se retrouver pour le week-end. Leurs proches ont déposé en septembre 2018 deux recours auprès de la justice administrative, estimant que leur route n'aurait jamais dû croiser celle d'Hanachi si la préfecture du Rhône avait «fait son travail», souligne Sylvie Harel.
Car deux jours avant l’attaque, Ahmed Hanachi, qui possédait un passeport tunisien mais pas de visa, se trouvait à Lyon. Placé en garde à vue pour le vol d’un blouson, il était connu de la police pour des infractions commises sous six identités différentes en 2005 et en 2006. Pour l’un de ses alias, une mesure d’éloignement avait été notifiée en 2005 mais n’avait pas été exécutée, faute de place en centre de rétention.
Le 30 septembre 2017, le scénario se reproduit. Avant d’envisager une obligation de quitter le territoire (OQTF), l’agent de la préfecture rhodanienne s’enquiert des places disponibles au centre de rétention administrative de Lyon. Au moment de son appel, il n’y en a pas. Le sous-préfet de permanence, à l’extérieur pour une cérémonie, n’est pas consulté. Quelques heures plus tard, l’agent décide de ne pas prononcer de placement en rétention et Ahmed Hanachi est libéré de sa garde à vue. Le lendemain, il monte dans un train pour Marseille et tue les deux cousines.
«Dysfonctionnements graves»
L'Inspection générale de l'administration, dans un rapport du 10 octobre 2017, pointe des «erreurs de jugement», des «dysfonctionnements graves». Le ministre de l'Intérieur de l'époque, Gérard Collomb, limoge le préfet du Rhône. Christophe Castaner, alors porte-parole du gouvernement, estime que «l'attentat aurait pu être évité», établissant un lien de causalité entre l'absence de rétention et la mort de Mauranne et Laura.
C'est l'inverse que plaide aujourd'hui l'Etat, contredisant cette communication de crise. Dans son mémoire, il souligne que la préfecture n'avait pas connaissance de la dangerosité d'Hanachi, qu'il ne faisait pas l'objet d'une fiche S. «Voler un blouson à 39 euros n'est pas un signe de radicalisation», a estimé lors de l'audience Pascale Léglise, représentante de l'Etat et de la préfecture du Rhône, ajoutant que «tous les étrangers en situation irrégulière ne sont pas des terroristes en puissance, c'est un amalgame que nous ne souhaitons pas faire».
«On ne s'attendait pas à ce que les choses soient autant minimisées, c'est atterrant», a réagi Fabrice Paumier, le père de Laura. «Aucune leçon n'a été tirée, a abondé Sylvie Harel. On demande juste à la justice d'appliquer ses propres règles pour nous protéger tous.» Les familles des victimes réclament jusqu'à 350 000 euros de dommages et intérêts. Le rapporteur public a, lui, rejeté toute «carence» ou «faute» de l'administration «face à l'absence de particularités du profil d'Hanachi». Le délibéré sera rendu d'ici deux à trois semaines.