Maître Sophie Ibrahim s'est postée près du box où son client, présenté en comparution immédiate, écoute, les mains jointes, la présidente de la 11e chambre du tribunal correctionnel de Marseille. «Votre avocate vous l'a expliqué : en raison des circonstances, elle ne peut pas vous défendre», pose la magistrate. Le jeune homme, impliqué dans une histoire de stupéfiants, ne réagit pas. «On va donc devoir renvoyer l'affaire. Mais on va quand même décider de votre maintien en détention ou pas.» Depuis le début de la semaine, c'est le même refrain : pas de défense, renvoi de l'affaire, décision sur le maintien en détention si nécessaire, dossier suivant. Comme dans la plupart des barreaux de France, les avocats marseillais ont entamé cette semaine une grève dure pour protester contre la réforme de leur régime de retraite.
Lundi, ils étaient près de 500 à s'être rassemblés sur les marches du palais de justice, une cravate rouge posée sur leur rabat blanc en signe de colère. «C'est la première fois que je vois ça, souligne Yann Arnoux-Pollak, le bâtonnier de Marseille. Cela montre notre volonté d'aller jusqu'au bout. Le gouvernement ne nous écoute pas, ne nous reçoit pas. On frôle le mépris. Cette réforme, on la vit comme une déclaration de guerre.» La riposte de la profession est en proportion : leur action, prévue sur une semaine, paralyse l'ensemble de la chaîne judiciaire. «Les avocats sortent des prétoires, mais aussi des commissariats, ils ne sont plus commis d'office, détaille le bâtonnier. Tous les secteurs sont impactés.»
«Ne pas défendre les gens, c’est douloureux»
Pour gérer malgré tout le quotidien, la profession s'est organisée : par «respect pour la juridiction et les citoyens», à chaque audience, un membre du Conseil de l'ordre est présent dans la salle et explique, en début de séance, les raisons du mouvement. Ce mardi, c'est Stéphanie Spiteri qui a pris la parole devant la 11e chambre. «Ne pas défendre les gens, c'est contre-nature pour nous, explique-t-elle. C'est douloureux, mais la plupart des gens nous comprennent.»
Les jeunes avocats lourdement touchés
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D'autant que la grève, prévue jusqu'au lundi suivant, pourrait être reconduite. «La date butoir pour nous, ce n'est pas lundi mais le retrait de la réforme, insiste Stéphanie Spiteri, du Conseil de l'ordre. Le gouvernement a déposé son projet de loi devant le Conseil d'Etat. On connaît le système : ça veut dire que l'idée, ce n'est pas de négocier, c'est de voter le texte. Sauf que nous aussi, on est totalement déterminés.» Jeudi, ils devraient être nombreux à rejoindre le cortège marseillais des grévistes, qui partira dans la matinée du haut de la Canebière.