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Convention citoyenne

Climat : Macron passe l’oral avant les travaux pratiques

Le Président répond ce vendredi à des questions posées par les 150 membres de la convention citoyenne. Un exercice attendu et redouté par les tirés au sort, qui attendent de savoir quel sera l’avenir de leurs propositions.
Premier weekend de la convention citoyenne pour le climat, le 6 octobre à Paris. (Photo Nicolas Lascourrèges)
publié le 9 janvier 2020 à 20h31

La convention citoyenne pour le climat a rendez-vous avec celui qui a parié sur elle. Ce vendredi au palais d'Iéna à Paris, Emmanuel Macron doit se prêter à l'exercice des questions-réponses face à cette assemblée inédite, qu'il avait voulue comme l'une des réponses à la crise des gilets jaunes après le grand débat national. Le Président comme ce groupe de citoyens tirés au sort misent autant l'un sur l'autre. Ils sont le quitte ou double de Macron sur le front écolo. Mais ils ont accepté la mission à condition d'être écoutés et suivis. Lors de ses vœux du 31 décembre, le chef de l'Etat a rappelé qu'il «[attendait] beaucoup des propositions que préparent 150 de nos compatriotes» pour début avril, au terme de quatre mois de travaux. Chargés de plancher sur la manière de réduire «d'au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici à 2030 par rapport à 1990, dans un esprit de justice sociale», les intéressés prêteront une attention vigilante aux mots du Président. Au-delà d'un éclairage sur le contexte européen et mondial, ces citoyens souhaitent des assurances sur ce que l'exécutif et le Parlement feront de leurs solutions.

Obtenir des garanties

Ces derniers jours, les 150 – qui, grève oblige, ne se sont pas réunis depuis mi-novembre au siège du Conseil économique, social et environnemental (Cese) – ont minutieusement préparé l'entretien. Ceux qui déplorent le peu d'écho médiatique donné à leurs travaux savent que la venue présidentielle va doper leur visibilité. Sur leur plateforme interne, ils ont été invités à lister les questions censées aborder les négociations internationales et la géopolitique du climat, le «Green New Deal» promis par la Commission européenne, la neutralité carbone et le processus de la convention. Dans la trentaine d'interrogations, huit des plus «likées» par les autres membres seront posées par des citoyens désignés, comme c'est l'usage, par tirage au sort. Dans ce baromètre des préoccupations reviennent souvent la politique agricole commune (PAC), l'échec de la COP 25 en décembre, l'impact environnemental des traités de libre-échange, comme le Ceta entre l'UE et le Canada, ou encore la volonté d'inscrire la notion de crime d'écocide dans le droit pénal.

C'est sur le sort réservé aux conclusions de la convention que le Président est particulièrement attendu. «On veut être certains que le travail qu'on mène ne sera pas jeté à la poubelle et, éventuellement, un début de calendrier, exige Guy, sexagénaire du Limousin. Il faut qu'il s'engage à ne pas picorer parmi nos mesures. S'il en retire, cela risque de faire tomber tout l'édifice.» Si Emmanuel Macron a promis au printemps de soumettre les solutions des 150, «sans filtre, soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire», ça irait mieux en le redisant.

Sur les bancs de cet hémicycle citoyen, nombreux sont ceux qui plaident pour un référendum - sur l'inscription de la protection de l'environnement et la lutte contre le changement climatique dans l'article premier de la Constitution, par exemple. Façon, selon eux, de faire résonner le débat dans l'ensemble de la société. «Cette notion de "sans filtre" est très importante pour nous, rappelle William, architecte-urbaniste nantais. Le Président est-il prêt à accepter un référendum si on le demande ? Sera-t-il bien là pour porter nos mesures avec nous ? On a besoin qu'il renouvelle son engagement de départ.»

S'ils comptent obtenir des garanties sur l'issue du processus, les 150 n'entendent pas dévoiler dès vendredi les solutions qu'ils pourraient préconiser. Lors de cette quatrième session de travail et après s'être donné un délai supplémentaire jusqu'à début avril, la convention sera à mi-parcours. Dans les cinq groupes thématiques, des pistes se dessinent. Comme une simplification de l'accès à la rénovation énergétique via un guichet unique des aides et la limitation de l'artificialisation des sols pour le groupe «Se loger». Les membres du groupe «Se déplacer» réfléchissent, eux, à un encadrement de la publicité pour les véhicules les plus polluants et au coût trop faible du transport aérien, tandis que leurs camarades du groupe «Consommer» travaillent sur l'obsolescence programmée, la relocalisation des échanges commerciaux et l'impact du numérique. «On doit prendre garde à ne pas faire valider nos propositions avant l'heure par le Président», prévient Eric, sapeur-pompier à la retraite à Melun (Seine-et-Marne). «Il ne doit pas nous dire sur quoi on doit travailler ni venir casser notre indépendance», renchérit Grégoire, trentenaire à la tête d'un réseau d'associations en Normandie.

«On est une France miniature»

La confiance n'est pas acquise. «A-t-il réellement la volonté de réduire les émissions de GES ou vient-il faire des effets de manche et reprendre la main ?» s'interroge Guy. Certains se demandent si la visite présidentielle n'est pas prématurée, craignant qu'elle alimente les soupçons sur une convention instrumentalisée par le pouvoir. La présence d'Emmanuel Macron lors de l'ultime session, pour la restitution des travaux, n'aurait-elle pas plus de poids ? Une option que n'écarte pas l'Elysée. Dans leurs boucles de discussion, les citoyens ont également souligné la nécessité d'interpeller leur invité sans complaisance mais sans virulence. Sur le gril, pas sur un ring.

A la recherche de la bonne distance, ces citoyens tiennent à démontrer qu'ils ne servent pas de faire-valoir à la rescousse du bilan écologique du chef de l'Etat. Mais les commentaires en off dans la presse de certains parlementaires LREM, qui les imaginent infiltrés par des ONG et mouvements altermondialistes ou très à gauche, ne leur ont pas non plus échappé. «Certaines de nos propositions seront radicales non pas parce qu'on est des "gauchistes" mais parce que l'urgence climatique l'impose», recadre Eric. «On est passés de la "convention Macron" à la "convention des gauchistes" ! ironise Grégoire. Parmi nous, il y a des conservateurs, des modérés, des radicaux : on est une France miniature.»

Mais comme une partie de leurs préconisations pourrait atterrir au Parlement, il va bien falloir s'apprivoiser. Les coprésidents du comité de gouvernance et le rapporteur général, Julien Blanchet, ont été auditionnés mercredi par la commission des lois de l'Assemblée nationale après un oral au Sénat en décembre. Quelques citoyens ont, de leur côté, pris contact avec les groupes parlementaires, dont les députés UDI-Agir et les socialistes qu'ils doivent rencontrer ce vendredi et lundi. Preuve que les 150 sont autant surveillés qu'attendus, le mouvement écologiste de désobéissance civile Extinction Rebellion a prévu de s'inviter devant le Cese ce week-end, pour les «encourager […] à proposer des mesures radicales».