Chacun sa journée, chacun sa stratégie. Celle de la contestation, d’abord. Jeudi, pour le quatrième rendez-vous de la mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites, à l’appel de la CGT, FO, FSU, Solidaires et CGC, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans toute la France.
Au niveau national, les syndicats revendiquent près de 1,2 million de manifestants dans 65 cortèges, dont celui de Paris qui, selon la CGT, a rassemblé 370 000 personnes, soit 120 000 de plus que le 5 décembre, coup d'envoi d'une mobilisation qui vient d'entrer dans sa sixième semaine. Le cabinet indépendant Occurrence a comptabilisé de son côté 44 000 manifestants dans les rues de Paris. Des chiffres très éloignés de ceux publiés par les autorités. Le ministère de l'Intérieur recense 452 000 manifestants jeudi dans plus de 80 villes, dont 56 000 dans le cortège parisien. Soit un net reflux par rapport à début décembre, où le chiffre officiel de la mobilisation avait atteint 806 000 personnes. Autre indicateur, à la SNCF, fer de lance de la bataille menée contre le projet de réforme de l'exécutif, le taux de grévistes est reparti fortement à la hausse ce jeudi, après une chute au cours des derniers jours : jeudi, les cheminots étaient 32,9% à cesser le travail, dont 66,6% des conducteurs, contre 6,8% la veille. Preuve, pour le numéro 1 de la CGT, Philippe Martinez, que la mobilisation est «toujours à haut niveau». «L'adhésion, elle est là, elle est large, elle sera encore là demain», abonde son homologue de FO, Yves Veyrier. Mais «l'amplification» de la mobilisation, vers le privé notamment dont rêvent CGT et FO, n'a en revanche toujours pas eu lieu. Jeudi soir, l'intersyndicale était réunie à Paris pour décider de «la ou les prochaines dates de mobilisation», selon un participant.
«Banco»
Côté négociations, c'est une tout autre journée qui se prépare pour ce vendredi. Avec en première ligne les centrales favorables au régime universel de retraite mais hostiles à toute mesure d'âge : la CFDT, l'Unsa et la CFTC, invitées à Matignon avec l'ensemble des partenaires sociaux pour travailler sur le contenu de la «conférence de financement» réclamée par la CFDT.
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Dans la majorité, on ne se fait plus guère d'illusions : la mobilisation contre la réforme des retraites a encore de beaux jours devant elle. Si les bataillons de manifestants diminuent, les opposants au futur projet de loi ont montré ce jeudi qu'ils étaient loin de baisser les armes. Un accord avec les syndicats favorables au principe d'universalité n'en est que plus urgent, font valoir de nombreux élus macronistes. Au sein de LREM, la fracture est de plus en plus marquée entre ceux qui prennent le parti de Berger et ceux qui soutiennent le Premier ministre. Les premiers pressent le gouvernement de céder sur l'âge. «Il faut impérativement un accord avec la CFDT», répète le député Guillaume Chiche, l'un des animateurs de l'aile cédétiste du groupe parlementaire LREM. En face, plusieurs députés sur la ligne de l'exécutif ont été reçus mercredi soir à Matignon. «Tout le monde est convaincu que le sujet d'équilibre financier doit être traité», rapporte le président de la commission des Affaires économiques, Roland Lescure.
Fermeté
Jeudi, le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, en a remis une couche dans le Figaro en soutenant que l'âge pivot reste une mesure «juste et efficace» : «Ce qui est sûr, c'est qu'on doit travailler un peu plus longtemps.» Une fermeté sur le fond qui suggère que le gouvernement ne croit plus à la possibilité d'un accord ? Au sommet de l'Etat, certains en sont arrivés à la conclusion que Laurent Berger n'en veut pas lui-même. Ce qui expliquerait qu'il se montre à ce point intraitable. Le leader de la CFDT se satisferait d'une issue conflictuelle et bancale : d'accord pour le régime universel à points mais toujours non à la mesure d'âge. «Le problème c'est que l'âge pivot est devenu un totem, analyse un ministre. On est pour ou on est contre. Il y a forcément des gagnants et des perdants.» Et donc aucun compromis possible.