Soutenir une action de blocage menée par des cheminots plutôt que faire cours. Depuis l'aube jeudi matin, Fabien Desage, professeur de sciences politiques, participe à la grève reconductible, votée par une centaine d'enseignants et de personnels de l'Université de Lille. Dans la nuit encore noire, les discussions se font à la lumière des flammes qui grignotent les pneus déposés pour barrer la route d'un important dépôt de bus, à Sequedin, à vingt minutes de Lille. «Vous êtes des travailleurs comme nous. On vous respecte dans ce que vous faites les gars», glisse Fabien Desage à des chauffeurs d'Esterra agacés. Les conducteurs de la société de ramassage des déchets de la métropole lilloise réclament de pouvoir circuler car ils craignent de «se faire pigeonner» en devant terminer leur journée un peu plus tard que prévu, une fois le blocage levé. «La réforme va aussi vous toucher, vous et vos enfants…» argumente Fabien Desage.
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Un gars, chasuble orange SNCF sur le dos, se met à raconter d'une voix rageuse qu'il a commencé à bosser à l'âge de 14 ans à la criée du port de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) et qu'il refuse qu'on fasse travailler les gens plus longtemps. «Vous avez raison. Je suis d'accord avec vous ! Dans ce cas, restez avec nous jusqu'à 15 heures», éclate de rire un éboueur. Fabien Desage observe l'échange : «Ça crée des discussions, même entre eux, entre collègues, et c'est important !»
Pour lui, la grève est un moyen de se dégager du temps pour participer aux actions de terrain. Pendant l'assemblée générale du personnel de son université, l'enseignant-chercheur de 43 ans appelait ses collègues à cesser «d'écrire des articles et de répondre à des mails pour des colloques prévus dans deux semaines». Il estime que «ce qui se joue là est plus important : dans quelle société veut-on vivre ?» Solidaire des cheminots mobilisés depuis trente-six jours, Fabien Desage insiste pour qu'on parle d'eux plutôt que de lui. Mercredi, il a invité deux mécaniciens de la SNCF dans son amphi pour témoigner de leurs conditions de travail. Devant ses étudiants de première année, il a longuement expliqué sa démarche : «Un cours, ça sert aussi à ça : déconstruire vos représentations, notamment médiatique.» Après le blocage, dans l'espoir de faire converger le plus de monde possible vers la manifestation prévue à Lille en début d'après-midi, Fabien Desage a prévu de rejoindre un piquet de grève puis un barbecue de cheminots.