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Municipales

A Paris, les adversaires de la maire se cherchent sans se trouver

Deux candidats LREM, Dati en conflit avec la commission d’investiture LR, Belliard et Bournazel au milieu. A deux mois des municipales, l’opposition à Hidalgo reste très divisée.
De gauche à droite : Cédric Villani, Benjamin Griveaux, Rachida Dati. (Photos Joel Saget. AFP)
publié le 10 janvier 2020 à 20h56

Game of Thrones et Kafka : les références utilisées par les équipes des candidats pour parler de la campagne à Paris en disent long. Qui avance, qui recule, qui tend la main, qui marque sa distance, qui joue contre son camp ? A deux mois du premier tour, le grand jeu des alliances continue entre les concurrents de la maire sortante. Les quatre principaux prétendants, David Belliard pour les écolos, Rachida Dati pour LR, Benjamin Griveaux pour LREM et Cédric Villani, en candidat dissident de la majorité, n'ont pas encore arrêté leur stratégie d'alliance. Le jeu est à tel point ouvert que les trois derniers n'ont même pas encore finalisé leurs listes. «La situation parisienne est plus complexe qu'elle ne l'a jamais été. Aujourd'hui, il est impossible de savoir ce qu'il va se passer», analyse un élu rodé aux campagnes parisiennes. Et pour l'instant, ce flou profite à Anne Hidalgo : l'offre d'alternance est si éclatée qu'aucun adversaire n'est trop puissant.

«Indébranchable»

Selon l’un des derniers sondages concernant Paris, un baromètre Ifop commandé par le camp Villani en décembre, la sortante est créditée de 22,5 % des voix, Dati et Griveaux font jeu égal à 17 %, Villani atteint 14 % et Belliard plafonne à 12,5 %. Comme Bertrand Delanoë en 2001, élu sur fond de duel Séguin-Tiberi à droite, la socialiste a intérêt à ce qu’aucun des candidats n’explose en vol pour qu’ils continuent à se neutraliser. Ses opposants ont, eux, en revanche, tout intérêt à essayer de mutualiser leurs forces.

C'est le constat de Pierre-Yves Bournazel, député de Paris membre du groupe Agir, la droite qui ne cache pas ses affinités avec la majorité macroniste à l'Assemblée. Mercredi, dans une lettre ouverte, il a appelé Griveaux et Villani à surmonter les «tensions personnelles» et à se rencontrer «pour construire le rassemblement dont Paris a besoin». «Les Parisiens me disent qu'ils ne savent pas pour qui voter face à Anne Hidalgo», explique-t-il à Libé. Sur le fond, les divergences entre les trois ne sont pas insurmontables. Depuis le début de la campagne, les deux prétendants LREM ont d'ailleurs insisté sur ce qui les rapprochait de l'élu de droite du XVIIIe arrondissement. Là où ça se complique, c'est la future incarnation de ce rapprochement. Tordant le cou aux rumeurs, Bournazel a assuré vendredi qu'il ne comptait pas se retirer au profit de Griveaux. Pour l'instant. Du haut de ses 5 % d'intentions de voix, il met en avant son projet qui serait le plus abouti des trois, selon lui. Dans le camp Griveaux, on préfère convoquer les sondages : puisque l'ancien porte-parole du gouvernement est le plus haut, la logique voudrait qu'il mène cette coalition centriste. Mais Villani, lui, répète à qui veut l'entendre qu'il est «indébranchable» et continue de réduire le fossé avec son concurrent marcheur. Dans sa réponse à Bournazel, il a d'ailleurs enterré l'idée d'un trio, reprochant à Griveaux sa volonté de densifier Paris et sa «surenchère» sur le sujet de la sécurité. «S'ils n'ont pas exclu Villani, c'est dans l'intérêt du second tour» pour avoir des réserves de voix au profit de Griveaux, explique un élu parisien proche de la macronie.

Le candidat mathématicien, lui, s'accroche à un projet d'alliance allant de Bournazel à Belliard. Exit Griveaux. Le camp du député de l'Essonne parie sur le fait que l'élection ne se jouera pas sur le clivage gauche-droite mais prolongera le mouvement de recomposition politique. Une forme de réplique de la présidentielle de 2017, centrée sur l'écologie politique. De son côté, Belliard a créé la surprise jusque dans son camp en plaidant pour une «coalition pour le climat» allant de La France insoumise au dissident LREM. Mais cette grande union a aussi du plomb dans l'aile : elle serait composée d'insoumis et de socialistes, or Villani refuse de travailler avec les premiers et n'est pas enchanté à l'idée de construire une majorité avec les seconds. Circonstance aggravante, le député refuse pour l'instant de rompre avec LREM comme le lui demande le candidat écolo. Dernier obstacle en date, la «possibilité d'alliance» évoquée mercredi par Villani avec Philippe Goujon, le maire LR du XVe, est venue compliquer les choses.

David Belliard, vendredi à Paris.

Photo Marc Chaumeil pour Libération

Choix stratégique

Du côté de LR, l'équation est tout aussi compliquée. Depuis l'investiture de Rachida Dati comme tête de liste en novembre, la bataille de Paris se double d'une bataille interne. Qui a atteint son apogée mercredi : mécontente de l'investiture donnée par son parti au maire du XVIIe arrondissement, Geoffroy Boulard, l'ex-ministre sarkozyste a annoncé prendre «toute [sa] liberté dans cette campagne». Connu pour ses penchants macronistes, Boulard plaide, comme nombre de maires d'arrondissement de droite, pour un rassemblement alliant marcheurs, centristes et droite traditionnelle. Dati, elle, préfère un casting 100 % LR, un choix stratégique qui s'explique par les modalités du scrutin parisien. L'élection se joue en trois tours : deux pour élire les maires et conseillers d'arrondissement, qui élisent par la suite le maire de Paris. Or la cheffe de file de LR sait que les futurs conseillers LREM et Agir venus des listes des maires d'arrondissement de droite ne voteront pas pour elle. «Son envie, c'est de mettre un candidat contre Boulard mais je pense qu'elle ne le fera pas, ça va s'arranger», veut croire un cadre du parti. Dati ne peut pas prendre le risque d'apparaître comme celle qui divise encore plus la droite.

Pour calmer le jeu, François Baroin a proposé qu'un texte soit signé par tous les candidats, les engageant à voter pour Rachida Dati. «C'est notre seule exigence, c'est le b.a-ba», explique ce même cadre. Le problème pour LR, c'est que Goujon laisse entendre qu'il votera pour le mieux placé lors du troisième tour. Le cas du maire du XVe doit être examiné par LR la semaine prochaine. Soutenu par Bournazel et courtisé par Villani, Goujon invite les candidats qui prétendent incarner l'alternance à le soutenir. Même s'ils ne s'entendent pas entre eux. Kafkaïen.