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Réforme

Retraites : Edouard Philippe joue la montre

A l’issue d’une nouvelle semaine de concertations, les positions n’ont pas varié. Des propositions doivent être envoyées ce samedi aux partenaires sociaux et le Premier ministre espère toujours trouver un «compromis». Trois journées de mobilisation sont déjà annoncées.
Edouard Philippe face à Laurent Berger, à Matignon. (Photo Marc Chaumeil pour Libération)
publié le 10 janvier 2020 à 21h11

Macron avait demandé un «compromis rapide». Dix jours plus tard, malgré la multiplication des rencontres entre gouvernement et partenaires sociaux, rien n'a concrètement bougé. Mais pas question pour l'exécutif de porter la responsabilité de ce surplace. «Nous avons bien avancé dans la recherche du compromis que nous souhaitons […] mais il nous reste du travail», a donc fait valoir Edouard Philippe vendredi soir sur le perron de Matignon après une (longue) journée de discussions avec les dirigeants syndicaux sur le thème du «financement» des régimes de retraite actuel et futur. Le Premier ministre a annoncé qu'il verrait dans la soirée le Président ainsi que les «responsables de la majorité» pour leur faire part des «avancées possibles», notamment sur le point dur qui braque toujours une partie des syndicats (CFDT, Unsa, CFTC) favorable au principe d'un système universel : l'instauration d'un «âge d'équilibre» dès 2022 pour rétablir les comptes de l'assurance vieillesse. Point d'autant plus dur que la version du projet de loi envoyée dans la nuit de jeudi à vendredi aux différentes caisses de retraite ne contient pas un mais deux «âges pivots»

La suite : une missive que le chef du gouvernement écrira aux syndicats ce samedi pour faire des «propositions concrètes qui pourraient être la base [du] compromis». Si Edouard Philippe explique vouloir «prendre du temps» pour trouver un accord, le gouvernement ne compte pas traîner au Parlement. Vendredi soir, le Premier ministre a rappelé le calendrier très serré qu'il a concocté pour que la réforme des retraites soit votée avant l'été : présentation en Conseil des ministres le 24 janvier, discussion à l'Assemblée durant tout le mois de février, passage au Sénat et texte ficelé fin juin.

«Trop duré»

Le Premier ministre est-il prêt à donner raison à la CFDT en retirant du projet de loi toute référence à l'âge pivot, quitte à être accusé de «recul» par la droite ? C'est toujours la «revendication» de Laurent Berger, seul allié potentiel du gouvernement côté syndicats. L'entrevue entre les deux hommes vendredi a duré plus d'une heure, en présence de Laurent Pietraszewski (Retraites), Agnès Buzyn (Solidarités) et - nouveauté du jour - Gérald Darmanin (Comptes publics). A sa sortie, le leader cédétiste a dit «senti[r] une volonté d'ouverture», en tout cas «dans la parole». Mais cela fait des semaines que Berger attend des «actes». Et «très, très vite». «Cela n'a que trop duré», s'est-il agacé face aux caméras.

Geoffroy Roux de Bézieux (Medef) et Alain Griset (U2P), vendredi.

Photo Marc Chaumeil pour

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En maintenant dans le texte ce mécanisme de l'âge d'équilibre, «cette réforme telle qu'elle est aujourd'hui, ne porte pas le sceau de justice sociale», a martelé le leader de la CFDT, assurant que si le gouvernement souhaite réellement «sortir de cette nasse dans laquelle le débat est pris» et «revenir à un débat sur le système universel en tant que tel», il doit laisser tomber cette «question budgétaire». Ce que l'exécutif n'est, semble-t-il, pas disposé à faire. Il s'est empressé vendredi de distribuer aux partenaires sociaux son premier chiffrage. Et il s'agit de celui qui concerne les «économies» qu'un âge pivot instauré dès 2022 pourrait générer : 3 milliards d'euros la première année, 5 milliards en 2023, 6,5 en 2024, 9 en 2025, 11 en 2026 et, enfin, 12 milliards en 2027.

A sa sortie de Matignon, le patron de la CFE-CGC (cadres), François Hommeril, s'est moqué de la «petite présentation» de Darmanin et de «ses histogrammes». «Des chiffres que pour la plupart nous connaissions, j'espère qu'il ne les a pas découverts hier soir en préparant sa présentation», a-t-il lancé. «On a tout de même l'impression que Philippe a compris quel était le nœud du problème, explique à Libé le numéro 1 de l'Unsa, Laurent Escure, après son rendez-vous. J'ai compris qu'il n'était pas fermé et qu'il avait entendu ce qu'on avait à dire.» Pas de quoi, en revanche, convaincre les autres syndicats qui réclament, eux, le retrait du projet de réforme et qui mobilisent depuis le 5 décembre. «Plus le gouvernement essaie d'expliquer son texte, moins les Français le comprennent», a dénoncé le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, en sortant de son rendez-vous. Hommeril, de la CFE-CGC, s'est montré «très inquiet» sur la limitation de la future enveloppe consacrée aux dépenses de retraites : «En foi de quoi devrait-on décider que 14 % [du PIB] c'est trop, qu'il y a trop pour les pensions ? Cette contrainte budgétaire fera que, in fine, le volume des pensions ne pourra plus évoluer et on aura le choix entre deux choses : travailler plus longtemps ou gagner moins en retraite.»

«Pacotille»

Le patron de FO, Yves Veyrier, s'agace même de la «façon de faire» du gouvernement après 36 jours de grève dans les transports, un record : «Cette négociation c'est de la pacotille.» Le dirigeant syndical a prévenu le Premier ministre que, retrait de l'âge pivot ou pas, il continuerait à mobiliser : «Que ce soit clair, il n'y aura pas de pause dans notre détermination à faire en sorte que le projet ne voie pas le jour. Si le gouvernement parie sur l'épuisement, il fait une erreur.»

Philippe Martinez (CGT) à Matignon vendredi.

Photo Marc Chaumeil pour

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Pas question, donc, pour ces syndicats, de s'arrêter. D'autant qu'ils ont, jeudi, réussi leur pari : celui de redémarrer un mouvement social après une pause hivernale sans appels nationaux à manifester. Une mobilisation «exceptionnelle», s'est félicité l'intersyndicale (CGT, FO, FSU, Solidaires, CGC et les organisations de jeunesse). Et ce, malgré une présence policière plus que massive et des scènes de violences, notamment à Paris, où des manifestants et des membres des forces de l'ordre ont été blessés. L'intersyndicale a fixé non pas une, mais trois nouvelles journées de mobilisation : une «journée de grève et de convergence interprofessionnelle» mardi puis des «actions et initiatives déclinées sous toutes les formes» mercredi et jeudi. Ces dates viennent s'ajouter à un nouvel appel à manifester ce samedi. A Paris, un cortège partira de Nation en début d'après-midi. Mais toujours sans la CFDT. Dans la capitale, le syndicat invite ses militants à «sensibiliser […] travailleurs et citoyens». Au programme : tracts, pétition et «casse-croûte convivial». Le temps de découvrir ce que le Premier ministre aura écrit.