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Histoire

Violences policières : une enquête confiée à l’IGPN après un tir de LBD

Une vidéo filmée jeudi, lors de la manifestation contre la réforme des retraites à Paris, montre un policier tirer à bout portant sur un manifestant.
Extrait de la vidéo filmée par Laurent Bigot. Au centre, le policier qui a tiré à bout portant avec son LBD. (Capture d’écran Laurent Bigot)
publié le 10 janvier 2020 à 21h11

La vidéo a indigné les réseaux sociaux. Postée par un internaute jeudi, durant la manifestation parisienne contre la réforme des retraites, on y voit un policier tirer à bout portant avec un lanceur de balles de défense (LBD) sur un manifestant. Sur ces images, on voit d’abord un policier braquer son LBD, puis se raviser et le baisser. Mais deux secondes plus tard, il vise de nouveau la foule, située à moins d’un mètre et matraquée par les forces de l’ordre, puis tire avec son LBD. On entend le tir et de la fumée est visible depuis le canon de l’arme. Une personne en jean et chaussures noires tombe alors à terre, entourée par d’autres manifestants. Les policiers continuent d’avancer.

Règles. La scène a lieu rue Saint-Lazare, près du croisement avec la rue de Caumartin. Contacté par Libération, l'auteur de la vidéo, Laurent Bigot, indique avoir filmé les images avec son téléphone à 16 h 05, «quand le cortège était près d'arriver à la place Saint-Augustin». «Les policiers voulaient scinder le cortège, alors qu'il ne se passait rien. Ils avaient comme stratégie d'isoler la tête de cortège, où il y avait un peu tout le monde : du black bloc, des gilets jaunes, mais aussi des syndicalistes ou des personnes plus âgées, comme on peut le voir sur mes vidéos.» Interrogé sur le tir, Laurent Bigot explique qu'il ne s'en était pas rendu compte au moment où il a filmé la vidéo. Ce n'est qu'après l'avoir postée sur Twitter qu'il a été alerté par des internautes. Selon lui, «le tir part tout seul, peut-être qu'il est accidentel».

Il ignore dans quel état se trouve la personne atteinte, que nous n’avons pas pu retrouver. Sur une autre vidéo tournée à 16 h 03, on peut remarquer que le même policier avait déjà braqué son arme sur la foule, alors qu’un homme, dos tourné, se trouvait juste devant lui et que la foule reculait.

Jeudi soir, le journaliste Hugo Murail a publié sur Twitter une vidéo montrant la même scène, filmée derrière les policiers. On constate, là encore, que la foule recule face aux forces de l'ordre. Au moment du tir, ces dernières ne semblent pas directement menacées. On entend alors distinctement le tir du LBD, avant qu'un groupe ne se forme autour de la personne tombée à terre. Le parquet de Paris a confirmé vendredi à Libération l'ouverture d'«une enquête du chef de violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique à la suite de la diffusion de cette vidéo sur Internet. Cette enquête a été confiée à l'IGPN», l'Inspection générale de la police nationale.

En janvier 2019, Libération avait déjà expliqué les règles encadrant le recours au LBD, qui doit être employé comme «une réponse graduée et proportionnée à une situation de danger lorsque l'emploi légitime de la force s'avère nécessaire pour dissuader ou neutraliser une personne violente et /ou dangereuse». Le ministère de l'Intérieur avait aussi rappelé en avril que l'usage de cette arme était encadré par la loi et qu'elle pouvait être utilisée dans des situations de «cas de légitime défense (article 122-5 du code pénal), d'état de nécessité (article 122-7 du code pénal) et de dissipation d'un attroupement». Les règles d'utilisation de cette arme sont rappelées dans une «instruction relative à l'usage et l'emploi des armes de force intermédiaire dans les services de la police nationale et les unités de la gendarmerie nationale», en date du 27 juillet et du 2 août 2017. S'il n'existe pas de distance minimale en deçà de laquelle le tir serait interdit, le guide d'usage alerte sur le fait qu'«en deçà des intervalles de distances opérationnels, propres à chaque munition, cette arme de force intermédiaire peut générer des risques lésionnels plus importants». Dans cette scène, le manifestant est à peine à un mètre du policier.

«Disproportionné». Joint par Libé, l'avocat Thierry Vallat estime que le tir n'est pas justifié : «C'est très violent. Même si le manifestant à la casquette est très virulent et ne recule pas, le tir dans ces conditions me paraît disproportionné car le policier ne peut méconnaître la dangerosité d'un tel tir à une distance aussi faible. Et il ne me paraît pas en danger, ni lui ni ses collègues autour.» L'avocat souligne qu'«il y a déjà eu des condamnations dans ce cas de tir à bout touchant».

Contactée par Libération, la préfecture de police de Paris n'a, pour l'heure, pas répondu à nos questions. Auprès de l'AFP, elle a qualifié la vidéo de «parcellaire et sortie de son contexte», parlant de «violents heurts» : «Les policiers et les gendarmes ont été pris à partie par des personnes violentes et ont riposté avec des moyens intermédiaires, lacrymogènes et lanceurs de balles de défense.»

Laurent Bigot filme depuis un an, pour sa chaîne YouTube AB7 média, les manifestations des gilets jaunes et contre la réforme des retraites en tant que «citoyen engagé». Il a aussi eu une carrière de sous-préfet dans les années 2000 en Corse, Dordogne et Martinique. Il se dit stupéfait par «le niveau de violence» des forces de l'ordre lors de cette manifestation : «Je n'ai jamais vu ça. Ils étaient en roue libre. Ce n'est pas la police que j'ai connue.»