La séance de tir aux pigeons a commencé. Lors de sa conférence de presse mercredi 8 janvier, à Beyrouth, Carlos Ghosn, toujours sous le coup de quatre mises en accusation au Japon pour dissimulation de revenus et détournement de fonds, a donné le ton. Ce jour-là, devant la presse du monde entier, il canarde successivement la hiérarchie de Nissan, le procureur de Tokyo, mais aussi le ministre de l'Economie Bruno Le Maire. L'ex-PDG de Renault-Nissan entend également régler des comptes avec la firme au losange au sens propre comme figuré. Avant même de fuir Tokyo, Ghosn avait déjà assigné, en référé et devant le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) son ancien employeur. La procédure, révélée lundi par le Figaro et lancée par le cabinet d'avocats parisien Jeantet et associés, réclame à l'entreprise, par voie de justice, le versement d'une indemnité de fin de carrière pour la période 1999-2005 durant laquelle Ghosn n'était que directeur général de Renault. Soit une somme de 250 000 euros. L'affaire devrait être examinée à la fin du mois de février. Carlos Ghosn se considère en effet comme retraité depuis la lettre qu'il a envoyée au conseil d'administration le 23 janvier 2019, deux mois après avoir été placé en détention au Japon pour deux accusations de dissimulation de revenus. Dans cette missive dont Libération a eu connaissance, il indique «mettre un terme à ses mandats de directeur général et de président du conseil d'administration de Renault» dans le souci «d'assurer la bonne marche de l'entreprise». Un paragraphe plus loin, Ghosn conclut en demandant «que soit préservée l'intégralité de ses droits tels que reconnus par la loi et les documents sociaux de Renault». En l'occurrence, des actions de préférence (attribuées gratuitement sous conditions) et sa rémunération variable.
Retraite
Le conseil d’administration de Renault accuse réception du courrier. S’il entend bien mettre fin aux fonctions de son président, pas question en revanche d’ouvrir les cordons de la bourse et de verser tous les éléments prévus dans le «package» de rémunération de Ghosn. En l’occurrence, une retraite chapeau (complémentaire) de 774 774 euros par an mais aussi une clause de non-concurrence équivalente à deux ans de rémunération (hors actions gratuites) de 4 millions d’euros. Ce type de parachute doré est généralement versé aux PDG en échange d’une interdiction d’aller travailler pour une entreprise directement rivale.
Par la même occasion, Carlos Ghosn se voit sucrer les actions gratuites, dites de «performance» prévues dans sa rémunération. Le détail figure dans le rapport annuel de Renault pour les comptes de 2018, en page 300. En l'occurrence, 380 000 actions au cours du mois de février 2019 (en moyenne 58 euros), soit 22 millions d'euros sur lesquels Ghosn n'a pas du tout l'intention de s'asseoir. Et tant qu'à faire, la défense de l'ex-PDG devrait demander une compensation pour la chute de l'action Renault intervenue depuis son incarcération. Car d'autres actions gratuites, qu'il réclame aussi, auraient initialement dû lui être attribuées, après la date de sa mise en détention à la prison de Kosuge.
Une deuxième procédure en justice est donc prévue en février devant le tribunal de commerce de Nanterre pour les éléments de rémunération de Carlos Ghosn autres que son indemnité de fin de carrière de 250 000 euros qui sera examinée par le conseil des prud’hommes. Selon une première estimation, ce sont près de 30 millions d’euros que l’ex-boss de Renault pourrait réclamer. Toute la question pour les juges sera de décider s’il y a eu démission en bonne et due forme ou fin de mandat pour cause d’empêchement.
Les avocats de Carlos Ghosn devraient jouer sur deux éléments. D'abord la fameuse lettre du 23 janvier 2019 dans laquelle l'intéressé écrit que sa décision est dictée par «un empêchement indépendant de sa volonté», en l'occurrence son arrestation. Ensuite, l'assemblée générale des actionnaires de Renault du mois de juin, durant laquelle le mot «démission» n'aurait pas été prononcé par Jean-Dominique Senard, le nouveau PDG, pas plus que par Thierry Bolloré qui était, à l'époque, le numéro 2 du groupe automobile.
Audit
Une autre bataille judiciaire se prépare également autour de l’audit commandé par la direction de Renault sur les dépenses de Ghosn qui ne seraient pas en lien avec son activité de PDG du groupe, mais auraient été tout de même prises en charge par l’entreprise. Notamment divers voyages ou des donations à des écoles huppées à l’étranger. L’enjeu est de taille car ces dépenses viennent appuyer une procédure pénale ouverte par le parquet de Nanterre, à la suite d’un signalement de Renault. Selon le cabinet Mazars qui a effectué ce décompte, il y en aurait pour 11 millions d’euros. Ce document est classé confidentiel et même les membres du conseil d’administration de Renault n’ont pu en avoir une copie. Ils ont tout juste été autorisés à le consulter pendant une réunion avant qu’il ne soit ramassé, afin d’éviter les fuites. La défense de Carlos Ghosn estime qu’il s’agit d’un document à charge, le fruit d’une enquête au cours de laquelle son client n’a pu faire valoir ses arguments.
Le constructeur automobile indique de son côté que deux avocats mandatés par le cabinet Mazars se sont rendus à Tokyo pour donner à Carlos Ghosn la possibilité de s'exprimer. «Simulacre de contradictoire», répond la défense de l'ex-PDG de Renault. La bataille dans les prétoires ne fait que commencer et elle devrait être longue. Et sans concessions.