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Grève des avocats : «Ça fait deux ans qu’on est systématiquement méprisés»

A Laval, comme dans bien d’autres barreaux, la grève contre la réforme des retraites a été reconduite. Lundi, la rencontre entre la Garde des sceaux et les représentants de la profession n’a pas changé la donne.
Lors de la grève des avocats au palais de justice de Lyon, lundi, pour le premier jour du procès de Bernard Preynat. (Photo Bruno Amsellem)
publié le 13 janvier 2020 à 20h26

Une semaine après le début de leur «grève dure» contre le projet de réforme des retraites, les avocats ne désarment pas. Lundi matin, à Lyon, le très attendu procès de l'ex-prêtre Bernard Preynat, accusé d'agressions sexuelles sur de jeunes scouts, a été reporté de vingt-quatre heures. A l'issue d'une rencontre en fin de matinée avec la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, et le secrétaire d'Etat aux Retraites, Laurent Pietraszewski, les représentants de la profession - le Conseil national des barreaux (CNB), la Conférence des bâtonniers et le bâtonnier de Paris - ont appelé à poursuivre le mouvement. Si «les deux ministres ont semblé préoccupés par la situation de crise», «aucune nouvelle proposition n'a été faite», indique à Libé la présidente du CNB, Christiane Féral-Schuhl, qui attend désormais les réponses écrites que Belloubet et Pietraszewski se sont engagés à fournir à la profession. A Ajaccio, Brest, Cherbourg, Marseille, Bayonne, en Seine-Saint-Denis, entre autres, la grève a été reconduite.

Il en était de même dès vendredi à Laval (Mayenne), lors d'une assemblée des avocats de la ville, au quatrième étage du palais de justice. «100 % des barreaux français sont en grève, c'est historique», s'enthousiasme ce jour-là le bâtonnier de Laval, Nicolas Dirickx. Sur le fond du dossier, c'est une autre histoire : «Cette semaine, il n'y a eu aucune avancée significative, on en est toujours au même point.» La reconduction de la grève est alors adoptée à l'unanimité des votants, 33 avocats sur les 71 que compte le barreau local ; sa poursuite jusqu'au 20 janvier, à l'unanimité moins une voix.

«Aux tripes»

Cause de la fronde, la disparition programmée du régime de retraite autonome des avocats et leur intégration au régime universel avec, à la clé, explique le bâtonnier, une baisse du montant de la pension minimale mensuelle, de 1 416 à 1 000 euros environ, et un doublement des cotisations pour ceux qui gagnent jusqu'à 40 000 euros par an, de 14 % à 28 %. «Les plus impactés seront les plus jeunes et les cabinets qui travaillent avec les clients les plus pauvres, ceux éligibles à l'aide juridictionnelle», insiste son prédécesseur, Eric Cesbron. Les compensations proposées pour l'instant par l'exécutif - notamment la baisse de la CSG et de certaines cotisations - n'ont pas convaincu. «Ce sont des mesures prises dans des lois de finances, fait valoir Me Dirickx, or la pérennité d'une loi de finances, c'est très variable…»

La grève, très suivie, peut s'avérer délicate à mener : «Il faut comprendre à quel point ça nous prend aux tripes, souligne Camille Robert, jeune avocat pénaliste. C'est douloureux de dire à un client qui nous demande de l'accompagner en garde à vue qu'on est en grève.» Pendant le déjeuner, les Mayennais découvrent les scènes filmées au palais de justice de Paris, où leurs confrères, venus manifester alors que la garde des Sceaux était dans les murs, ont été stoppés par une mêlée de gendarmes. Comme à Caen mercredi, les avocats parisiens ont jeté au sol leurs robes noires. Signe qu'au-delà même de la réforme des retraites, la cassure, entre la profession et la place Vendôme, est profonde. «Ça fait deux ans qu'on est systématiquement méprisés», lâche Me Cesbron.

«Très favorable»

Au moins les Lavallois ont-ils le sentiment d'avoir été, dans leur juridiction, «plutôt soutenus cette semaine», estime la présidente de l'Union des jeunes avocats, Agathe Chatton. Ici, toutes les demandes de renvoi d'audience - sauf une, discutée en amont - ont été acceptées. Une souplesse loin d'être une exception. «Nous avons incité nos collègues à ne pas s'opposer aux renvois», indique à Libération Céline Parisot, la présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire). Si l'USM a «constaté une politique très favorable aux renvois dans la plupart des juridictions», le Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche) a pour sa part protesté par communiqué contre «la diffusion d'instructions visant à faire obstacle aux légitimes mobilisations des professionnels de la justice» par «la haute hiérarchie judiciaire».

Reste à savoir combien de temps la paralysie peut se poursuivre. Vendredi, à la sortie d'une audience en comparution immédiate reportée au 24 janvier - sans garantie que le prévenu, un jeune homme poursuivi pour cambriolages, puisse à cette date être défendu -, la présidente du tribunal de Laval, Sabine Orsel, égrenait quelques chiffres : 23 dossiers renvoyés du côté du juge aux affaires familiales, de 15 à 20 dossiers d'assistance éducative… Certains reports sont de l'ordre de trois ou quatre mois. Dans un tribunal qui n'est pas le plus engorgé, «ce qu'on a pris comme retard, on va le garder», soulignait-elle. Avec effet cumulatif : «Il y a des choses qui sont tenables sur une semaine ou quinze jours, pas sur un mois…»