Pour beaucoup, c'était la première fois qu'ils le revoyaient depuis une trentaine d'années. Bernard Preynat, l'ex-vicaire de Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône), l'ancien aumônier de scouts si terriblement charismatique, porte une barbe blanche qui lui mange une grande partie du visage. Elle pourrait presque le faire ressembler à un gentil père Noël et non pas à cet ancien prêtre poursuivi pour des agissements pédocriminels en série. «Si je l'avais croisé dans la rue, je ne l'aurais pas reconnu», dit à Libération, Laurent Duverger, l'un des accusateurs.
Après les soubresauts liés à la grève des barreaux contre la réforme des retraites, le procès emblématique du scandale de la pédophilie dans l'Eglise a pu commencer, mardi, devant le tribunal correctionnel de Lyon. «J'ai reconnu tout de suite sa voix», poursuit Laurent Duverger. Pour lui, les faits sont prescrits. Mais il est à l'audience. C'est un moment de vérité. Comme le rappelle la présidente du tribunal, Anne-Sophie Martinet, le procès doit établir les faits, leur durée, les remords éventuels et la conscience qu'a Preynat ou non de la gravité des faits, le rôle des parents, de la hiérarchie catholique…
«Gestes de tendresse»
Bernard Preynat, poursuivi pour des «atteintes sexuelles sur mineurs de 15 ans par personne ayant autorité», n'a rien perdu de sa prestance. Elle en a toujours imposé. Pour l'heure, l'ex-prêtre est toujours logé dans un appartement dans le centre de Lyon appartenant à l'Eglise – «jusqu'à la fin du procès, ce vendredi», précise, à Libération, un haut responsable du diocèse. Ses revenus ? Sa pension de retraite de la Cavimac, la caisse des cultes, un peu moins de 800 euros.
«J'ai toujours vécu dans la peur d'être dénoncé», avoue-t-il à la barre. Sa démarche est un peu traînante mais reste assurée. Echarpe bleue autour du cou, il est sobrement vêtu : veste noire, pantalon anthracite et polo violet. Est-ce une ironie ? Le violet est la couleur des évêques. L'ex-abbé, déjà sanctionné par l'Eglise qui lui a retiré son statut de prêtre, s'assoit lourdement sur sa chaise. Récemment, il a été opéré du cœur. On dit sa santé chancelante. Mais sa mémoire est toujours vive. Et, à ce qui apparaît pendant les débats, plutôt sélective. Il a le souci du détail, corrige la présidente du tribunal quand elle évoque son parcours dans l'Eglise. «Non je n'ai pas été nommé en 1971 à la paroisse Saint-Luc mais en 1972. Avant, je terminais ma licence de théologie», explique-t-il.
Au palais de justice de Lyon, lundi.
Photo Bruno Amsellem pour Libération
Pressé par la présidente, Preynat reconnaît avoir attouché un nombre conséquent de jeunes garçons dans les années 70 et 80. Le tribunal insiste. «Un ou deux chaque week-end», souffle-t-il quand il officiait à la paroisse Saint-Luc. Et pendant les camps et les sorties de scouts, d'après ce qu'il en dit, c'était presque un enfant chaque soir. Ces chiffres donnent le vertige. Preynat tente de minimiser. Une ancienne scoute est abasourdie ; les larmes lui embuent le regard. «A l'époque, je ne me rendais pas compte de la gravité de mes actes. Je savais bien que c'était des actes interdits et condamnables», lâche-t-il. Mais il parle de «gestes de tendresse». Preynat ne cache rien de ses attirances pédophiles, qu'il a caressé le sexe de certains enfants et s'est fait caresser par eux. «Je n'ai jamais été attiré sexuellement par une femme ou un homme adulte, avoue-t-il. C'était bien sûr un problème, je me rendais compte que ce n'était pas normal. Je ne me suis jamais satisfait de cela et cela m'amène ici aujourd'hui.»
Maîtrise
Certes, le prévenu fait profil bas et se repent. «Je lui demande pardon et je regrette les conséquences que cela a eu sur sa vie», dit-il à l'adresse d'un des plaignants après son témoignage. Confronté à ses accusateurs, il le répète presque systématiquement. Mais dès qu'il le peut, Bernard Preynat atténue sa responsabilité. Face à François Devaux, le fondateur de l'association la Parole libérée, il reconnaît certes lui avoir caressé les cuisses mais nie être allé jusqu'aux fesses. La querelle ne change rien aux dégâts que cela a provoqué. Habituellement batailleur, Devaux fend l'armure à l'audience, raconte une adolescence fracassée, des cinq de moyenne à l'école, avoir «flirté avec des choses dangereuses», une tentative de suicide. Encore une fois, Preynat s'excuse. Mais tient bon sur ce qu'il réfute.
Quatre ans et demi après le déclenchement de l'affaire qui a provoqué un séisme dans l'Eglise catholique, l'ex-prêtre demeure, au fond, une énigme. Est-il sincère ? Ou un manipulateur de haut vol ? Preynat donne l'impression de ne jamais perdre la maîtrise. D'après lui, ce n'est qu'après 1991 qu'il a pris conscience de la gravité de son comportement. A cette époque, il est relevé de ses fonctions à la paroisse Saint-Luc sur l'insistance des parents Devaux. «De voir ces familles très blessées, très offensées, ça m'a complèment assommé, affirme-t-il. Les révélations ont été tellement fortes, que petit à petit je me suis rendu compte des dégâts que j'avais causés.» Il assure n'avoir rien commis de répréhensible depuis cette date. «C'est une promesse que j'ai faite au cardinal Decourtray [l'archevêque de Lyon à l'époque, ndlr]. J'ai mené un combat contre moi-même. Je ne dis pas que je n'ai pas eu des tentations, mais j'ai toujours résisté. Je n'ai pas tellement été encouragé par ma hiérarchie. Mais l'essentiel, c'est le résultat.»