Il recommence à s'en mêler. Muet sur le sujet depuis ses vœux télévisés du 31 décembre, Emmanuel Macron a de nouveau fait une incursion sur le front des retraites mardi. Depuis Pau, il a salué le «compromis» avancé par son Premier ministre et appelé les siens à «rentrer dans une phase d'explication et de construction». «L'inquiétude est légitime. Parce qu'on n'aime jamais le changement», a aussi tenté d'aplanir le chef de l'Etat alors que la mobilisation conserve le soutien d'une majorité de Français. Des «explications», la majorité va devoir en fournir d'ici au 24 janvier et la présentation en Conseil des ministres du projet de loi, que le gouvernement veut voir adopté avant l'été. La version modifiée du texte a été transmise au Conseil d'Etat pour tenir compte des légères concessions de l'exécutif et contient une flopée d'ordonnances. De quoi crisper les députés.
Que dit la nouvelle version du projet de loi ?
Elle acte, comme attendu, le «retrait» de la mesure d'âge avancée par le Premier ministre pour équilibrer le système : l'introduction, dès 2022, d'un âge pivot qu'il faudrait atteindre pour bénéficier (même si on a tous ses trimestres) de sa pension à taux plein. Le nouvel article 56 bis mandate la «conférence des financeurs» pour présenter une autre solution. Ensuite, le gouvernement se donne «trois mois à compter de la publication de la […] loi» pour faire ratifier son ordonnance par le Parlement. «C'est la Constitution», a justifié Edouard Philippe à l'Assemblée. Comme prévu, en cas d'accord syndicats-patronat, le gouvernement reprendra leurs solutions, à condition qu'elles n'«entraînent ni baisse des pensions […] ni hausse du coût du travail». Sinon, il mixera son propre «cocktail de mesures». «Contiendra-t-il une mesure d'âge, s'est faussement interrogé Philippe pendant les questions d'actualité. Je le pense, car je ne vois pas comment on pourrait arriver à l'équilibre .»
Voilà les syndicats prévenus… Car dans les ingrédients mis à leur disposition, peu de «paramètres» sont de nature à leur plaire. Dans la nouvelle version du texte, on retrouve même l'«âge d'ouverture des droits», soit cet âge légal à 62 ans auquel Macron a pourtant juré de ne pas toucher. En revanche, outre le fait que le gouvernement se montre désormais prêt à piocher dans le Fonds de réserve des retraites, il ne mentionne plus les «taux de cotisations d'assurance vieillesse», terme remplacé par une formule - «l'affectation de recettes à l'assurance vieillesse» - plus ouverte mais qui permettra au patronat de s'en tirer. Copie attendue d'ici au 30 avril.
Pourquoi l’agenda social percute le calendrier parlementaire ?
Le Parlement va donc voir arriver le projet de loi façon puzzle. Censés débuter l'examen en commission spéciale dès le 3 février, les députés débattront dans l'hémicycle, à partir du 17 février, d'un texte amputé d'une partie de son volet «financement». Opposées à la réforme pour des motifs radicalement différents, gauche et droite dénoncent à l'unisson une méthode brouillonne qui leur impose d'avancer malgré cet angle mort et craignent de ne pas pouvoir se prononcer, au final, sur les dispositions destinées à équilibrer le système. Contours fluctuants du texte, ordonnances en pagaille, procédure accélérée, commission spéciale : l'opposition y voit partout des flous et des loups. «On ne va pas au vrai par des chemins obliques», professe Annie Genevard (LR), préoccupée de devoir «légiférer à l'aveugle» sur un texte «sur lequel il n'y aura pas de mesure de financement». Le socialiste Boris Vallaud dirait même plus : «Un texte à trous et tronqué.» «Après avoir malmené le dialogue social, vous malmenez le débat parlementaire», accuse-t-il, déplorant « une démocratie expéditive ».
Au-delà du blanc laissé sur le financement, les députés PS ont décompté d'autres nombreuses ordonnances, «près d'un tiers des articles» de l'avant-projet de loi. La réforme sur les retraites du gouvernement Fillon en 2010 n'en comptait aucune et celle de 2014 du gouvernement Ayrault en comportait deux sur l'adéquation du texte en outre-mer, rappellent-ils. «Ceci laisse craindre une impréparation importante, notamment en matière de bouclage budgétaire», s'en inquiète la présidente du groupe socialiste, Valérie Rabault, dans une lettre adressée au Premier ministre. Déplorant «un coup de force sur le plan parlementaire», le chef de file des insoumis, Jean-Luc Mélenchon, a proposé à ses collègues PS et PCF de déposer ensemble une motion de censure contre le gouvernement. Initiative pour l'heure fraîchement accueillie : cette arme parlementaire «doit conclure un processus, pas le précéder», a répondu Valérie Rabault, préférant «d'abord mener la bataille sur le fond». Le président du groupe Les Républicains, Damien Abad, lui non plus, ne décolère pas : «Ce n'est même plus un débat droite-gauche. Il s'agit de savoir si l'Assemblée nationale existe encore dans ce pays.» La droite cherche de son côté « les moyens innovants et forts de refuser ce déni de démocratie ».
Qu’en dit la majorité ?
Encore tout à leur soulagement du compromis dégainé samedi par Matignon, les députés LREM, très nombreux à vouloir raccrocher les wagons avec les syndicats modérés, ne se sont guère penchés sur les mines du débat parlementaire. En réunion de groupe mardi matin, même si quelques-uns ont souhaité «être associés le plus possible à la rédaction des ordonnances» ou restent vigilants sur les mesures de pénibilité, «un pan encore flou», plusieurs marcheurs ont salué le «geste courageux» de Philippe. De quoi «nous détacher du sujet de l'équilibre pour nous concentrer sur le fond de la réforme», a avancé l'un d'eux. Certains réfractaires à l'âge pivot de 64 ans en 2027 veulent même voir dans sa suspension provisoire un abandon définitif. «Le réintégrer après coup est politiquement injouable», prédit un élu optimiste. Un autre plastronne sur cette «victoire de la macronie des origines».
Pour ce qui est de légiférer à vue, sans avoir la main sur les mesures de financement, les voilà peu regardants. «Que la démocratie sociale joue un rôle fort, c'est assez sain, justifie le délégué général de LREM, Stanislas Guerini. S'il y a un accord, c'est important qu'il soit appliqué tel quel, j'assumerais de le reprendre intégralement.» Mais si les partenaires sociaux ne s'entendent pas ? Un autre député LREM prévient : «Autant je n'ai aucun souci pour me dessaisir de ma compétence législative afin d'entériner l'accord des partenaires sociaux, autant autoriser le gouvernement à décider seul, faute d'accord, me pose problème.»