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Libération

Affaire Grégory : le récit de Murielle Bolle mi-effacé mi-préservé

La cour d’appel de Paris a annulé jeudi la garde à vue de l’adolescente en 1984, au cours de laquelle elle avait mis en cause Bernard Laroche. Mais ses propos tenus en tant que témoin et ceux devant le juge Lambert restent au dossier.
Murielle Bolle en 1984, après l’inculpation de Laroche. (Photo Jean-Claude Delmas. AFP)
publié le 16 janvier 2020 à 20h21

Il y a deux histoires qui se jouent simultanément : un insoluble mystère - qui a tué Grégory Villemin, 4 ans, retrouvé pieds et poings liés dans la Vologne, une rivière des Vosges, en octobre 1984 ? - et une saga procédurale. Ou plutôt, un délitement.

Résumons : après l’annulation en mai 2018 des mises en examen des époux Jacob (le grand-oncle et la grand-tante de Grégory) et de Murielle Bolle, personnage clé de l’affaire, c’était la garde à vue de cette dernière à l’époque des faits qui se retrouvait sur la sellette. En novembre 2018, les «sages» l’ont déclarée inconstitutionnelle, considérant que le huis-clos entre les gendarmes et celle qui était alors une jeune fille de 15 ans violait les droits fondamentaux du mineur, même si ceux-ci n’étaient alors pas inscrits dans la loi (l’information des parents, la présence d’un avocat, le droit à un examen médical ou la notification du droit de se taire). La Cour de cassation avait ensuite, sur cette base, ouvert la voie à une annulation. A charge pour la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris de décider du sort de cette pièce cruciale, et de faire le ménage dans le dossier.

Périmètre. Nous y sommes donc : jeudi, les magistrats ont annulé la fameuse pièce. «Nous sommes globalement satisfaits par cette décision», a réagi Me Jean-Paul Teissonnière, le conseil de Murielle Bolle, contacté par Libération. Sous le feu des projecteurs judiciaires, c'est un procès-verbal de six pages, tapé à la machine à écrire. Le 2 novembre 1984, celle qui se présente comme une «écolière» et signera ses déclarations d'un «Bolle» à la plume enfantine confie aux gendarmes qu'elle était avec son beau-frère Bernard Laroche quand il a kidnappé Grégory Villemin. Puis, le 5 novembre, Murielle Bolle réitère ses propos devant le juge d'instruction Jean-Michel Lambert.

Néanmoins, le lendemain, coup de théâtre : l'ado se rétracte, dénonçant la pression des enquêteurs. Elle ajoute : «Bernard, il est innocent.» Elle n'en démordra plus jamais, même après la mort de ce dernier en 1985, abattu par le père de Grégory, Jean-Marie Villemin ; même devant le juge Maurice Simon, qui reprend le dossier en 1987 ; même au procès de Jean-Marie Villemin en 1993. Et même lors de sa garde à vue de 2017, qui a donc repris après un interlude… de trente-trois ans.

Au-delà de l'annulation elle-même, la question principale posée à la cour d'appel était celle de son périmètre. Le 18 décembre, lors de l'audience à huis clos, la défense de Murielle Bolle avait demandé l'annulation totale du procès-verbal et de 198 actes ou passages s'y référant dans le dossier. «La majorité a été acceptée, explique Me Teissonnière. Ce que l'on n'a pas obtenu, c'est que la cour d'appel retienne en quelque sorte une extension de la garde à vue avec, juste avant, les déclarations passées par Murielle Bolle aux enquêteurs en tant que témoin, et juste après, celles au juge Lambert.» Autrement dit : deux moments cruciaux au cours desquels l'adolescente a également relaté l'implication de son beau-frère dans l'enlèvement du petit Grégory. De leur côté, les parties civiles ainsi que l'avocat général avaient demandé à ce que ces auditions ne soient pas frappées de nullité.

Point zéro. «Seules les pages 3 à 6 de la garde à vue ont été annulées, pas les autres, se satisfait donc Me François Saint-Pierre, avocat de Jean-Marie et Christine Villemin. Pour moi, ça n'a aucun impact sur la procédure.» C'est en effet à la fin de la page 3 que les enquêteurs indiquent que l'audition de Murielle Bolle bascule en garde à vue, avec cette mention : «Cette mesure prend effet le 2 novembre 1984 à 13 h 30.» Néanmoins, alors qu'elle était entendue en tant que témoin, l'adolescente avait déjà livré l'essentiel, affirmant que, le jour du crime, Bernard Laroche était venu la chercher à l'école avec son fils, Sébastien, et qu'ils s'étaient ensuite arrêtés pour prendre le petit garçon. «L'enfant qui était dans notre voiture le mardi 16 octobre à 17 heures correspond effectivement à la photo de Grégory», dit-elle dans ses derniers mots en tant que témoin. Quelques jours plus tard, elle précisera devant le juge Lambert : «Le gamin était souriant. Bernard était gentil avec lui.» Avant de revenir définitivement sur ses déclarations.

«Le dossier reste debout et les investigations vont continuer, explique Me Saint-Pierre. On ne demandera pas que Murielle Bolle soit poursuivie, elle n'a pas pu avoir conscience de participer à l'enlèvement de Grégory.» Si l'enquête avait été suspendue le temps de régler tous les aléas procéduraux, elle devrait donc reprendre mais… au point zéro, puisqu'il n'y a, juridiquement, plus aucun suspect. L'été 2017, durant lequel la machine judiciaire s'était remise en branle dans l'un des dossiers les plus énigmatiques des annales criminelles françaises, semble bien loin.