Les débats seront-ils chauds, avec noms d'oiseaux ? Les sénateurs traîneront-ils des pieds ? La droite majoritaire au Palais du Luxembourg va-t-elle détricoter ce que les députés ont adopté mi-octobre ? Le président du Sénat, Gérard Larcher (Les Républicains), qui a promis «une écoute mutuelle» et un débat «de qualité», sera-t-il exaucé ? Ces questions se posent alors que le projet de loi bioéthique, qui ouvre la procréation médicalement assistée (PMA) à toutes les femmes (hétéros ou homos, en couple ou célibataires), est à partir de ce mardi entre les mains de cette institution peu fougueuse en matière de réformes sociétales. Alors que le vote final est prévu le 4 février, pour l'heure, le feu semble au vert. En commission, les sénateurs ont dit oui à la PMA pour toutes. Une approbation de principe et avec une sacrée restriction, en l'occurrence un remboursement conditionné à des critères médicaux (donc pour les seuls couples hétéros ayant du mal à concevoir ou risquant de transmettre une maladie grave). L'Assemblée, qui aura le dernier mot, avait prévu un remboursement pour toutes, sans opérer la moindre distinction entre les PMA à visée médicale ou sociétale. Mais quand même. Ce premier «oui» et le symbole qu'il porte sont là. A rebrousse-poil des manifestants de «Marchons enfants» qui ont ce dimanche une nouvelle fois crié, en toute délicatesse et dans des rangs plus clairsemés que d'ordinaire, à la «fabrique d'orphelins» de père.
«On recherche le possible, pas l’idéal»
«Trahison» ? Compromis ? Question d'arithmétique, d'abord. Au Sénat, les troupes LR ne détiennent pas la majorité absolue et doivent s'allier avec d'autres pour l'emporter. «Mon groupe est très majoritairement opposé [à l'extension de la PMA] mais quand l'ensemble des autres groupes se coalisent, ça ne suffit pas», constate le chef de file des sénateurs LR, Bruno Retailleau, farouchement opposé à la mesure phare du texte. Reste que le président de la commission spéciale, Alain Milon (LR), lui, est favorable à la PMA pour toutes. Et si la corapporteure LR, Muriel Jourda, «nourrit les plus grandes réserves» quant à cette disposition, son collègue Roger Karoutchi «ne voit pas à quel titre [il la refuserait]» tout en souhaitant des «garde-fous». Un autre résume la stratégie de raison envisagée par certains à droite : «Le Sénat n'a de pouvoir que lorsqu'il accepte le compromis. On recherche le possible, pas forcément l'idéal. Autant apporter des garanties pour une solution équilibrée puisqu'on ne peut pas l'empêcher.» Un niet en bloc ne serait en effet pas la meilleure façon de peser face aux députés. «Une partie des sénateurs de droite et du centre ont fait un chemin important», estime la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie, qui reste prudente sur l'issue du débat dans l'hémicycle : «Rien n'est gagné.»
Pour le reste, les sénateurs ont fait un pas en avant, un pas en arrière à l'examen en commission. Parmi les 136 amendements adoptés, certains prévoient des assouplissements. C'est le cas sur le recours à l'autoconservation des ovocytes, qui permet aux femmes de retarder leur horloge biologique en congelant leurs gamètes. Là où le texte prévoyait une fourchette d'âge à fixer par décret, la commission sénatoriale a choisi de laisser aux équipes médicales l'appréciation des critères d'âge selon «chaque situation individuelle». Les sénateurs ont ouvert sous conditions et à titre expérimental l'autorisation du diagnostic préimplantatoire des malformations chromosomiques chez l'embryon lors d'une fécondation in vitro, ces anomalies chromosomiques empêchant souvent le développement des embryons (ce n'est pas le cas de la trisomie 21). Ils ont aussi étendu à vingt-et-un jours la «durée de culture» des embryons à des fins de recherche. Les députés avaient fixé la barre à quatorze jours, contre sept dans la loi en vigueur. Enfin, la commission a donné son feu vert sous conditions à des tests génétiques à visée généalogique. Sachant que de nombreux Français n'ont pas attendu un dépoussiérage de la loi pour se procurer ce genre de tests, auprès notamment de sociétés américaines.
Rétropédalage
L'élan a ses limites. Il y a aussi du rétropédalage dans l'air, notamment au chapitre «accès aux origines» des personnes nées d'un don de gamète. Les députés avaient scellé la fin de l'anonymat des dons, en prévoyant que chaque donneur s'engage au moment de son geste à accepter d'être contacté par l'enfant s'il le souhaite, à partir de ses 18 ans. Le Sénat opte pour «un consentement du donneur au moment de la demande d'accès». Et si c'est non ? Certains enfants auront-ils accès à leur origine et d'autres pas ? Bilan de cette mouture sénatoriale qui n'a pas fait l'objet d'un déluge d'amendements (quelque 280, presque dix fois moins qu'à l'Assemblée). Prudente sur les bonds de société, plutôt partante pour la recherche ? «Le Sénat a une tradition plus libérale qu'on ne le pense, diagnostique Bruno Retailleau. La peur de rater le train de la "modernité" y est probablement plus prégnante.»