Revoilà les épouvantails : «embryon mi-animal mi-homme», «eugénisme», «marchandisation du corps» et on en passe. Ceux qui s'opposent au texte révisant les lois de bioéthique, discuté à partir de ce mardi au Sénat, s'emploient à mobiliser bien au-delà de l'extension de la PMA à toutes les femmes.
L’ère des chimères a-t-elle sonné ?
Objet de tous les fantasmes, la fabrication d'embryons chimériques est-elle au programme de la nouvelle loi de bioéthique ? Ils sont évoqués mais pas comme le laissent croire les agitateurs de la peur. Ainsi est-il écrit dans le projet de loi que «la modification d'un embryon humain par adjonction de cellules provenant d'autres espèces est interdite». Cette précision dissipe un flou juridique : jusqu'à présent, la loi interdisait les embryons chimériques, sans préciser lesquels. En creux, le projet de loi autorise formellement l'implantation de cellules humaines sur l'embryon animal. Mais pas question de faire l'inverse.
A long terme, ces recherches visent à améliorer la lutte contre le cancer et la pratique du don d'organes. On est bien loin, donc, d'une fabrique d'êtres monstrueux en éprouvettes. D'autant que le Sénat propose de restreindre le champ des possibles, en excluant de ces travaux les cellules souches embryonnaires, au profit de cellules souches adultes (pluripotentes induites, les IPS). Ce qui permet d'éviter la destruction d'un embryon «surnuméraire» conçu lors d'une fécondation in vitro.
Va-t-on trier les embryons ?
A rebours des députés qui avaient freiné, les sénateurs en commission ont adopté - «à titre expérimental et sous conditions» - le recours à un diagnostic préimplantatoire des anomalies chromosomiques des embryons. Actuellement, comme l'explique la sénatrice LR et corapporteure de la loi Corinne Imbert, ce diagnostic «ne peut être réalisé que pour rechercher une pathologie génétique ciblée dont est porteur l'un des parents». Son amendement prévoit donc d'élargir le champ de ce que l'on dépiste à d'autres anomalies. Scandaleux ? La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, lors du débat à l'Assemblée cet automne, avait mis en garde contre «des dérives potentielles» et le risque de glisser «vers une société qui triera les embryons».
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Pourtant ces anomalies chromosomiques ont «pour conséquence une absence de grossesse ou des fausses couches précoces, détaillait à Libération en septembre le professeur Thomas Fréour, chef du service d'aide à la procréation au CHU de Nantes. Les couples qui en appellent à la PMA font un long parcours pour obtenir ces précieux embryons. Or, nous savons pertinemment que la moitié d'entre eux sont anormaux au niveau chromosomique. La majorité de ceux qu'on dépose dans l'utérus ne va pas s'implanter […]. Or, via un petit prélèvement, nous pouvons procéder à un comptage du nombre de chromosomes et nous assurer qu'il y en a le bon nombre. Il s'agit de repérer d'éventuelles erreurs, aucunement de chercher à les corriger ou d'aller voir si le gène des yeux bleus est présent. Et donc d'éviter des transferts voués à l'échec et de la douleur. Ce n'est pas de l'eugénisme. Ou alors on ne fait plus de dépistage de la trisomie 21, qui est, lui, autorisé.»
La GPA est-elle au bout de la PMA ?
Les opposants craignent un effet domino. Dans le texte gouvernemental, aucune mention n'est faite de la gestation pour autrui (GPA), proscrite en France depuis 1994. Les ministres chargées du texte ont toujours parlé d'une ligne rouge. Une prudence telle que l'exécutif s'était affolé à l'Assemblée sur un amendement - voté puis dévoté ! - visant à faciliter la transcription à l'état civil français des actes de naissances des enfants nés d'une GPA à l'étranger. Acte II : le Sénat adopte en commission, un amendement visant à limiter cette transcription. Ou comment s'en prendre au statut des enfants pour décourager les parents. L'occasion, s'est félicitée la corapporteure LR Muriel Jourda, d'«amener le gouvernement à redire devant le Sénat que ce projet de loi n'est pas un acte préparatoire à la légalisation de la GPA». On ne tournerait pas un peu rond ? Autre temps, autre état d'esprit. En 2010, 21 sénateurs de droite avaient déposé une proposition de loi, jamais débattue, «tendant à autoriser et encadrer la gestation pour autrui» sous certaines conditions. Le premier signataire était Alain Milon (LR), aujourd'hui à la tête de la commission spéciale sur le projet de loi bioéthique.