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A Matignon, «une équipe très brutale» venue de la droite

Edouard Philippe et son dircab adjoint, Thomas Fatome. (Photo Albert Facelly)
publié le 23 janvier 2020 à 20h56

C'est l'un des «cons de Matignon» qui agaçaient tant Jean-Paul Delevoye : Thomas Fatome, 45 ans, directeur adjoint de cabinet d'Edouard Philippe, est un des maîtres d'œuvre de la réforme. Ce père de trois enfants est l'archétype du «techno froid» sur lequel les politiques peuvent facilement taper lorsque ça coince : HEC puis ENA (comme sa femme), avant d'atterrir à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas).

Serviteur de l’Etat qui s’assume à droite, ce fils d’une professeure d’allemand et d’un médecin généraliste, originaire de Cherbourg, navigue depuis vingt ans entre son corps d’origine et les cabinets ministériels. Toujours à droite, au début. D’abord chez Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand, puis directeur de cabinet de Laurent Wauquiez (période droite sociale) et adjoint de celui de Christine Lagarde à Bercy, avant de finir les deux dernières années du quinquennat Sarkozy comme conseiller santé, dépendance et politiques sociales à l’Elysée.

«Un sac de nœuds»

Nommé directeur de la Sécurité sociale avant l'alternance, il restera en poste sous la mandature Hollande. La nouvelle ministre, Marisol Touraine, lui rappelle lors d'un glacial premier rendez-vous qu'elle va mettre en place une autre politique que celle de ses prédécesseurs. Jugé loyal, Fatome restera en poste jusqu'à l'installation d'Edouard Philippe à Matignon. Son directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas (l'autre «con de Matignon», selon les propos de Delevoye rapportés par le Canard enchaîné) le recrute pour piloter notamment les grandes réformes économiques et sociales. «Il a une vision de la Sécurité sociale très axée sur les grands équilibres financiers», juge un autre haut fonctionnaire. Trop, pour certains.

Pour les plus fervents partisans du système universel par points, c'est en partie à cause de lui que la vision budgétaire de la réforme portée par Matignon l'a emporté. «Il m'a toujours dit qu'il ne voyait absolument pas l'intérêt de la réforme universelle, raconte un ancien des Affaires sociales. Pour lui, c'est une réforme qui coûte de l'argent, un sac de nœuds administratif et financier… On lui demande de faire des économies, pourquoi perdrait-il du temps à faire cette réforme alors que repousser l'âge de départ permet d'arriver au même résultat ?»

«L’homme de la précision»

Lorsqu'on lui fait remarquer qu'il doit mettre sur pied un système auquel il ne croit alors pas, Fatome sourit. «C'est un engagement du président de la République», répond-il, soit mot pour mot ce que répète Edouard Philippe depuis le début. Fatome ajoute une mise en garde : «Aujourd'hui, on a 42 petites églises, si on veut les remplacer par une belle et grande cathédrale, il faut qu'on soit certain que tout ça tienne debout. Or on a un peu de bouteille, et on sait que c'est dur de réussir un grand projet de société, qu'il faut être souple sur les transitions. Lorsqu'on fait converger des systèmes, ça crée beaucoup, beaucoup de frottements.» Depuis plusieurs mois, cet amateur de séries (il vient de finir Tchernobyl et a attaqué la saison 3 de The Crown) passe donc ses journées et une partie de ses nuits à usiner avec son équipe sur tous les pans de la réforme : droits familiaux, réversion, transitions, âge d'équilibre… S'il ne croyait pas en cette réforme, en tout cas, il y a pris un certain goût : «Des constructions politiques comme celle-ci, on n'en fait pas beaucoup dans une carrière.»

A ses côtés, on trouve Marguerite Cazeneuve et le chef du pôle social, Franck Von Lennep. Cet ancien patron de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), 47 ans, est bien plus convaincu par ce «jeu de construction» que la majorité tente de créer, selon nos interlocuteurs. Ancien des cabinets de droite (François Baroin puis Valérie Pécresse à Bercy), formé à l'Ecole nationale de statistique et de l'administration économique, il a été chargé de mission au Conseil d'orientation des retraites, où il a «appris» le dossier. «Lui, c'est l'homme de la précision, un perfectionniste, le type qui vérifie les boutons de guêtre», assure un de ses camarades de jeu. «Tout ce petit monde constitue une équipe très dure, très brutale, très compétente techniquement et très affûtée, analyse un bon connaisseur des retraites. Il n'y a pas d'équivalent à l'Elysée, dans les administrations ou aux Affaires sociales ! Personne ne leur tient tête.»