Le procès du «Balardgate» s’ouvre lundi devant le tribunal correctionnel de Paris, pour favoritisme et /ou corruption. Il vise la construction du nouveau ministère de la Défense, dans le quartier Balard, un chantier à 4 milliards d’euros attribué au groupe Bouygues en février 2011, soupçonné d’avoir obtenu des informations en amont. Mais ne comparaîtront que des petites mains. Pas le moindre dirigeant du groupe de BTP ou de hauts gradés militaires, en dépit de multiples soupçons détectés durant l’enquête du juge Serge Tournaire.
A l’origine du bazar, une lettre anonyme de septembre 2010, en pleine procédure d’appel d’offres, mettant en cause Karim A., ancien salarié de Bouygues et Spie Batignolles se faisant fort de fournir - contre rémunération la plus discrète possible - des informations confidentielles sur des marchés publics en cours.
Il est établi qu'un capitaine au sein du ministère, Fabrice C., lui a remis divers documents sur la procédure d'attribution du nouveau QG des armées. Puis que Karim A. aurait tenté de les monnayer auprès d'un dirigeant de Bouygues, Thierry A. Lequel aurait décliné avant d'en informer sa hiérarchie. Le juge Tournaire constatera, dans son ordonnance de renvoi en correctionnelle : «Le fait que personne, au sein d'une multinationale aussi structurée, n'ait cru devoir signaler ces faits au ministère de la Défense et aux autorités judiciaires, ne pouvait que nourrir le soupçon qu'elle pouvait ne pas avoir intérêt à divulguer ces informations qu'elle pensait être la seule à détenir.»
Lors d'une perquisition chez Bouygues, les enquêteurs saisiront ce mémo, rédigé en mai 2010 : «On est 3e» face à Vinci et Eiffage. Dans sa proposition définitive, Bouygues saura baisser son prix de 100 millions d'euros pour finir en tête. Contre l'avis du parquet, Thierry A. bénéficiera finalement d'un non-lieu du juge d'instruction, au motif qu'il «n'a pas été possible d'établir un lien entre les informations détenues par Karim A. et les améliorations apportées par Bouygues dans son offre finale».
Pour sa part, Fabrice C. soutient mordicus que les documents transmis à Karim A. n'étaient que d'une portée très générale - ses modestes fonctions ne lui donnant pas accès aux ordinateurs sécurisés du ministère. Pourtant, auront cheminé parallèlement toute une série de clés USB contenant des informations précises sur le marché public en cours. «Manque de rigueur», se contera de relever la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense (DRSD) tout en pointant l'absence d'une violation du secret-défense.
Margaux Durand-Poincloux, avocate de Fabrice C., est vent debout : «On poursuit un lampiste alors qu'on ignore sciemment d'autres pistes plus sérieuses qui crèvent les yeux. Mais qui auraient pu conduire à annuler tout le marché.»
Un enquêteur de la DRSD l'avouera sur PV : «Si le ministère avait voulu savoir, il nous aurait donné carte blanche. Ce n'était pas le cas. Quelqu'un voulait étouffer l'affaire.» Bruno Vieillefosse, haut fonctionnaire chargé du vaste déménagement au sein du ministère, ne dira pas autre chose : «J'ai posé la question de savoir si je devais informer la justice, le cabinet du ministre [piloté à l'époque par Jean-Yves Le Drian, actuel ministre des Affaires étrangères, ndlr] m'a répondu que non.»
Karim A. figure également dans un autre dossier, jugé à partir de lundi, concernant la construction d’un centre de tri postal en Martinique.