Menu
Libération
Municipales

Le bon élève des insoumis reprend la route de l’Indre

Antoine Léaument, homme de l’ombre et gérant de l’image numérique de Jean-Luc Mélenchon, a officialisé sa candidature à la mairie de Châteauroux, où il a grandi.
Antoine Léaument, tête de liste insoumise à Châteauroux, dimanche. (Photo Denis Allard pour Libération)
publié le 26 janvier 2020 à 19h41

Antoine Léaument pose un pied sur ses terres. Une respiration. Un (tout) petit comité d’accueil tombe dans les bras de l’insoumis. La bande s’apprête à vivre un jour spécial : l’officialisation de leur liste pour les élections municipales de mars. Ils sortent de la gare sous un ciel bleu. Et marchent à grande vitesse dans le centre-ville de Châteauroux (Indre). Une dame tient une pancarte pour prévenir les curieux : les prétendants à la mairie organisent un meeting en fin de journée. Dans la salle, des photos aux murs mettent en image l’histoire de la troupe. Le temps presse. Ils courent dans tous les sens.

Antoine Léaument, lui, répond à la presse locale. Il rêve d'un score à deux chiffres. Lorsqu'on évoque le maire qui rempile, Gil Avérous, les commentaires se ressemblent : l'édile de droite est «plutôt sympa» mais sa vision de la ville est «mauvaise». Les candidats de La France insoumise proposent au grand favori une baston sur le fond. Ils veulent rafler l'étiquette du premier opposant face à l'autre liste de gauche et La République en marche. Le leader de «Châteauroux citoyen» donne des ordres. Tape des bises. S'éclipse pour fignoler son discours. Le monde insoumis de l'Indre tourne autour de lui. Une situation nouvelle pour l'enfant du coin. Le Castelroussin se retrouve dans la lumière alors qu'il est habitué à l'ombre.

Des étoiles dans les yeux

Antoine Léaument turbine depuis des années pour Jean-Luc Mélenchon. Il gère ses réseaux sociaux et son image numérique. Une sorte de cerveau 2.0. Le trentenaire ne rate aucune sortie du député des Bouches-du-Rhône. Il diffuse sur la Toile chacun de ses faits et gestes. Un rôle important. Le prétendant à la mairie jure, la main sur le cœur, qu’il se laisse guider par la vie. Un destin sympathique. Un conte de fées qui lui donne une petite stature dans les réseaux militants et politiques du coin. Ce nouveau rôle ne semble pas du tout lui déplaire.

Antoine Léaument est né à Châteauroux. Il a étudié dans l'établissement privé catholique local. L'élève est brillant. Le père est de gauche et ingénieur territorial ; la mère est gaulliste et à l'accueil d'un cabinet d'analyses médicales. Il décrit une enfance banale. L'adolescent fait du théâtre et passe du temps au CDI du lycée. La politique vient un peu plus tard. Son premier amour se nomme… François Bayrou. Il n'est pas en âge de voter en 2007 mais il milite avec son père pour le Modem. «Il proposait quelque chose de nouveau, de plus démocratique», argumente-t-il aujourd'hui avec un petit sourire. Antoine Léaument est tombé sous le charme de Jean-Luc Mélenchon par la lecture, plus précisément grâce au livre Qu'ils s'en aillent tous (Flammarion, 2010).

Le jeune homme s'engage officiellement dans la foulée. Etudiant à la Sorbonne, il monte la section du Parti de gauche dans sa faculté. Il côtoie vite les têtes pensantes. «Le premier, c'était Bastien Lachaud, après j'ai fait un stage à la région Ile-de-France avec François Delapierre, puis auprès de Martine Billard», se souvient-il. Des rencontres qui lui ouvrent les portes du chef. Le Castelroussin devient rapidement attaché parlementaire du député européen Jean-Luc Mélenchon. Il suffit de glisser le nom du tribun dans une discussion pour voir des étoiles dans les yeux du trentenaire. Il ne cache pas son «admiration». Le cerveau numérique pourrait en parler des heures de son «Jean-Luc». Un chef qui n'a pas l'image que lui donnent ces fichus médias. Dans la galaxie insoumise, Antoine Léaument est sûrement le meilleur élève.

18 heures : la salle se remplit lentement. Environ une cinquantaine de personnes. Les candidats sur la liste se présentent les uns après les autres. Ils détaillent leur parcours. Beaucoup découvrent la politique. Des gilets jaunes, notamment. Le père du protégé de Mélenchon, Philippe Léaument, est également sur la liste, à la quinzième position. On se pose avec lui sur un bout de table. Il est le contraire de son fils. L'ancien ingénieur territorial ne compte pas ses mots. Il sort des blagues et cogne sur tout ce qui bouge. Un jour, il a pleuré après un des discours de son rejeton. Mais il «chiale» aussi devant L'amour est dans le pré. Philippe Léaument n'oublie pas de retracer son parcours à lui. Ses années dans l'armée, son vote pour l'écolo René Dumont à la présidentielle de 1974, l'arrivée de Mitterrand au pouvoir, son boulot…

Antoine Léaument guette du coin de l'œil. Il surveille notre discussion avec son père. Le fiston connaît la bête. Mais rien ne l'arrête. Il dit : «J'ai dû fermer ma gueule quand je travaillais, pendant quarante ans, mais maintenant que je suis à la retraite personne ne peut m'empêcher de l'ouvrir.» Il a passé un peu de temps sur les ronds-points avec les gilets jaunes. Le retraité ne dit pas «nous» mais «eux», soulignant qu'il ne s'inquiète pas à la fin du mois, contrairement à beaucoup de ses copains. La preuve, il finance un peu la campagne de son fils - le papa a déjà donné 5 000 euros de sa poche pour les tracts. Une sorte de mécène. Il se marre : «Je ne vois pas les choses de cette manière, je dirais plutôt qu'Antoine aura un peu moins d'héritage.» C'est l'heure de l'apéritif, de la boisson, des gâteaux et des quiches. Le paternel conclut : «Je sais bien que Mélenchon, c'est son père spirituel, mais son vrai père, c'est moi !»

Fin des services publics

Pendant la présentation des candidats, un jeune homme attire notre attention : Gabriel, 17 ans. Il filme, prend des photos, applaudit. Il paraît très jeune. Sa voix est en cours de transformation. Une collègue de la presse locale glisse : «Gabriel, c'est un peu notre Greta Thunberg.» Le lycéen organise des marches pour le climat mais aussi des actions pour ramasser les déchets dans les quartiers populaires du département. Il attire plus de 200 personnes à chaque fois - ça fait du monde à Châteauroux - et lorsque des militants, même plus âgés, souhaitent organiser une action écolo, ils passent par lui. Le lycéen reste à sa place. Pas un mot plus haut que l'autre. A la fin de la présentation, Gabriel se pointe à l'oreille de la tête de liste pour lui commenter les réactions sur les réseaux sociaux. On a l'impression de voir Antoine Léaument avec Jean-Luc Mélenchon.

La nuit tombe : le centre-ville sonne creux pour un samedi soir. La bande se retrouve dans un bar. Antoine Léaument a une chope de bière qui fait presque sa taille. Philippe le paternel s’installe près de lui. La tête de liste sirote et fait un point sur le paysage : le sentiment d’abandon, la fin des services publics et le départ des jeunes vers les grandes villes. Un tableau sombre. «Les gens sont quand mêmes fiers de venir d’ici», ajoute-t-il. Son père coupe la parole, souvent. La tête de liste la reprend, toujours. Il demande à ses colistiers de raconter une nouvelle fois leur parcours, comme Lise, un haut rouge, un grand sourire et pas encore la trentaine. Elle pensait «ne rien comprendre à la politique». Finalement, elle a «trouvé sa place». Eloïse, une adhérente du NPA, participe également à l’aventure. Elle parle peu. Elle préfère reprendre les tubes du siècle dernier qui ambiancent le bar. D’autres dansent. On comprend qu’il y a de tout chez «Châteauroux citoyen». Certains rêvent de prendre le pouvoir, d’autres simplement de changer un peu leur quotidien, le temps de la campagne.