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Rail

Alstom veut accrocher le canadien Bombardier à ses wagons

Un an après le veto à son rachat par Siemens, le français envisage de racheter la branche ferroviaire de Bombardier. Les deux groupes donneraient naissance à un champion mondial du rail, démontrant au passage qu'Alstom n'avait nul besoin d'être vendu.
Un simulateur de train Bombardier, fabriqué pour la SNCF, dans la cour de l'Elysée le 17 janvier. (Photo Ludovic Marin. AFP)
publié le 27 janvier 2020 à 15h14

Que n'a-t-on entendu sur le sombre avenir d'Alstom après le veto opposé en février dernier par la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, au rachat du fabricant du TGV par Siemens. Le gouvernement français, qui militait pour cet «Airbus du rail» quitte à laisser la partie allemande prendre le contrôle du nouvel ensemble, brandissait à l'époque la menace du grand méchant dragon chinois CRRC, «deux fois plus gros qu'Alstom et Siemens réunis» pour justifier l'opération. Fumasse après le niet de Vestager, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, fustigeait une «erreur économique» et une «faute politique», et le Premier ministre Edouard Philippe dénonçait carrément «une mauvaise décision», faisant tous deux fi du droit de la concurrence.

Un an plus tardla Danoise a pris du galon à Bruxelles, la menace chinoise se fait toujours attendre, et Alstom, en pleine forme, cherche à avaler son concurrent canadien Bombardier façon boa constrictor ! Bref l'histoire ne se déroule pas du tout comme on nous l'a raconté quand il s'agissait de permettre à l'actionnaire Bouygues de vendre ses 15% d'Alstom à Siemens et d'empocher à terme 1 ou 2 milliards d'euros…

C'est même tout le contraire. Fort d'un carnet de commandes plein à ras bord (40,5 milliards d'euros) et de résultats financiers au beau fixe (681 millions de profits sur le dernier exercice 2018-2019), le numéro 1 français du ferroviaire (8,1 milliards d'euros de chiffre d'affaires) a retrouvé suffisamment d'appétit pour se lancer dans une acquisition spectaculaire qui ferait de lui un dangereux rival pour son allié d'hier Siemens. Et Bombardier, régulièrement désigné comme une cible de choix pour Alstom ou Siemens, est une opportunité en or : en grandes difficultés depuis des années, le groupe basé à Montréal, au Québec, cherche activement un repreneur pour ses activités ferroviaires (6 milliards d'euros de chiffre d'affaires), après avoir déjà dû céder son programme d'avions de ligne à Airbus il y a deux ans.

«Rachat pur et simple»

Aujourd’hui, il semble y avoir urgence : selon l’agence Bloomberg, le patron de Bombardier Inc, Alain Bellemare, serait lui-même venu trouver celui d’Alstom, Henri Poupart-Lafarge, il y a quelques semaines pour lui proposer de fusionner les activités des deux groupes. Et pour cause, à la suite d’un nouvel avertissement financier en début d’année, le cours de Bourse du groupe canadien a salement dévissé (-30%). Conseillé par les banques d’affaires Citigroup et UBS, le canadien aurait fait la même démarche en direction du conglomérat industriel japonais Hitachi. Mais la balance pencherait du côté de l’option Alstom : Bombardier vend régulièrement des rames de trains et de métro à la SNCF et la RATP et emploie 2 000 salariés français dans son usine de Crespin dans le Nord (contre 9 000 pour Alstom en France).

Interrogé par Libération, la direction d'Alstom, n'est pas pressée de commenter «la rumeur». Le groupe est coté en Bourse. Alors au siège de Saint-Ouen, on constate sobrement «que tout le monde parle régulièrement avec tout le monde dans le secteur ferroviaire» et que «ce n'est pas la première fois que l'on évoque ici ou là un rapprochement Alstom-Bombardier». Mais une autre source au fait du dossier estime que les discussions sont déjà «très avancées» et que l'on se dirige vers «un rachat pur et simple» de la branche ferroviaire de Bombardier par Alstom, conseillé dans ce dossier par la banque Rothschild. De son côté, interrogé jeudi en marge du Forum économique mondial de Davos, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a prédit «une consolidation du secteur ferroviaire», dans laquelle Alstom pourrait jouer un rôle majeur. On a le droit de changer d'avis à un an d'intervalle…

Conseil d’administration chez Alstom

Le fait est qu'un conseil d'administration, «ordinaire» précise-t-on chez Alstom, est convoqué ce mardi à Saint-Ouen et que le dossier sera au menu de la réunion. Faut-il s'attendre à une officialisation des négociations ? Difficile à dire car selon Reuters, Bombardier discuterait toujours en parallèle avec Hitachi, voire Siemens, pour faire monter les enchères ! La Bourse a plutôt bien réagi à la nouvelle d'un possible rachat de Bombardier puisque l'action Alstom est en hausse de près de 10% depuis le 1er janvier. L'opération est en tout cas tout à fait à la portée du français, qui peut procéder par échange d'actions : la branche ferroviaire de Bombardier est valorisée à environ 5 milliards d'euros, soit moitié moins qu'Alstom. Seul souci, le canadien est endetté d'autant et son premier actionnaire, la Caisse de dépôt et de placement du Québec (CDPQ) avec 30% du capital, exigera sans aucun doute du cash, en plus d'actions d'Alstom-Bombardier, pour en sortir sans y laisser trop de plumes. Selon nos confrères de BFMTV, la CDPQ pourrait ainsi obtenir 10% du capital du nouvel ensemble, au même niveau que Bouygues, mais «il s'agirait bien d'un rachat de Bombardier par Alstom».

Ensemble, Alstom et Bombardier donneraient naissance à un champion du ferroviaire pesant 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires, présent sur tous les grands marchés (Europe, Amérique du Nord, Asie et Moyen-Orient) et toutes les lignes de matériels (grande vitesse, trains régionaux, métros, tramways etc.). Il pourrait ainsi rivaliser plus efficacement avec le fameux chinois CRRC, mais sans doute au prix de ces fameuses «synergies» de fusion toujours coûteuses pour l’emploi. Mais deux fois plus gros que Siemens dans le secteur, cet Airbus du rail franco-canadien devra à son tour être avalisé par l’inflexible gendarme de la concurrence, Margrethe Vestager, qui veille toujours à Bruxelles.