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Rester anonyme ou pas ? Réponses de donneurs de gamètes

Jeudi, à l'occasion de l'examen du projet de loi bioéthique, le Sénat a souhaité laisser aux donneurs la possibilité de choisir s'ils souhaitent ou non que leur identité soit révélée aux enfants issus de leurs dons.
Manifestation contre la PMA sans père devant le sénat lorsque le débat sur la loi bioéthique a commencé. (Photo Bertrand Guay. AFP)
par Eloïse Bussy
publié le 28 janvier 2020 à 9h14

Le Sénat a abordé jeudi, durant l’examen du projet de loi bioéthique débattu depuis le 21 janvier, la question de l’anonymat des donneurs de gamètes et l’accès des enfants issus d’un don à leurs origines. Regretté par certaines associations militantes, comme PMAnonyme, l’anonymat du don de sperme et d’ovocytes est en vigueur en France depuis 1994. Le Sénat a décidé de laisser le choix aux nouveaux donneurs : ils pourront accepter ou non que leur identité soit révélée. Les anciens donneurs devraient, eux, être recontactés pour fournir ou non leur accord.

Mais qu'en pensent les principaux intéressés, ceux qui ont déjà donné ou s'apprêtent à le faire ? Accepteraient-ils de réaliser ce geste sans la garantie de l'anonymat ? Seraient-ils prêts à ce que les enfants issus de leur don puissent connaître leur nom, voire les rencontrer, comme l'a fait le militant Arthur Kermalvezen, qui avait retrouvé son géniteur grâce à un test ADN ? L'Assemblée s'était, elle, prononcée en première lecture pour la révélation systématique de l'identité des futurs géniteurs à la majorité de l'enfant. Les deux institutions approuvent en revanche le fait de transmettre aux enfants des éléments «non-identifiants», comme les antécédents médicaux. L'assemblée étudiera à nouveau la question en deuxième lecture en avril. Nous avons recueilli l'avis des anciens et futurs donneurs sur ce projet de loi.

Paris, le 15 janvir 2018. Portrait d'Arthur et Audrey Kermalvezen, figures de la lutte contre l'anonymat des dons de sperme.
COMMANDE N° 2017-1839

Portrait d'Arthur et Audrey Kermalvezen, figures de la lutte contre l'anonymat des dons de sperme. Photo Cyril Zannettacci pour Libération

Aurore Varitto, 31 ans, cadre

«Quand j'étais jeune, on m'a affirmé que je ne pourrais pas avoir un enfant naturellement. Je suis finalement tombée enceinte, et j'ai aujourd'hui un garçon de 4 ans. J'ai voulu devenir donneuse pour aider d'autres personnes, ce que j'ai réalisé en juillet au Cecos [Centre d'étude et de conservation des œufs et du sperme humains, ndlr] du centre hospitalier de Saint-Cloud dans les Hauts-de-Seine. Au départ, je n'étais pas opposée à ce que mon geste ne soit pas anonyme. Il y a encore deux mois, j'étais pour la levée du secret, mais j'estime aujourd'hui qu'il faut avant tout demander leur avis aux donneurs. Je ne sais pas comment réagirait mon fils si quelqu'un demandait un jour à rencontrer sa génitrice. Mon conjoint, lui, me dit que je m'inquiète pour rien et que mon fils sera déjà grand quand cela arrivera. Je suis d'accord pour que l'on transmette les données médicales et non-identifiantes, mais pas l'identité des anciens donneurs. J'envisage de refaire un don si j'ai l'accord de mon médecin. Je pourrais le faire même si le secret est levé, mais j'en discuterai avec mon compagnon. Je ne suis pas inquiète des débats qui ont lieu, car je sais que l'on protégera les anciens donneurs. Je crains seulement qu'une levée de l'anonymat fasse baisser le nombre de volontaires.»

Frédéric Letellier, 40 ans, ingénieur au CNRS

«J'ai réalisé mon don de spermatozoïdes en 2009 au Cecos de l'hôpital Cochin à Paris. J'étais à l'époque en parcours d'Assistance médicale à la procréation, et donc sensible aux problèmes d'infertilité. Pour moi, l'anonymat était quelque chose de naturel, c'est ma femme qui s'est posé davantage de questions. En 2015, j'ai eu un déclic quand j'ai découvert que les enfants issus d'un don n'avaient pas accès aux antécédents médicaux de leur géniteur. J'ai eu envie de militer sur le sujet, parce que je n'avais pas conscience de tout ça à l'époque. Il y a dans ma famille des cas d'amblyopie [différence d'acuité visuelle entre les deux yeux dès l'enfance, ndlr], qui est un trouble bénin s'il est détecté très tôt, mais qui peut causer la perte d'un œil. J'ai d'abord rejoint l'association PMAnonyme, puis j'ai créé en juillet l'association Dons de gamètes solidaires.

«Je suis favorable à ce qu'on change la législation pour les futurs donneurs. On m'a refusé l'accès à mon propre dossier médical, au nom du respect de l'anonymat du don. J'ai saisi le tribunal administratif contre l'hôpital Cochin, mais la justice leur a donné raison. Pour moi, avec l'arrivée des tests ADN, il ne sera plus possible de garantir aux donneurs qu'ils ne seront jamais retrouvés. J'accepterais pour ma part que mon identité soit révélée, mais ce n'est pas le cas de ma compagne. Elle avait donné son accord si mon acte était anonyme, et n'est pas favorable à une évolution de la loi aujourd'hui. Il est important de mon point de vue de demander aussi l'avis des conjoints. C'est ce que j'ai proposé lorsque j'ai été entendu en commission au Sénat, en novembre.»

Joseph Geantet, 64 ans, retraité

«Je suis de près les débats qui se déroulent actuellement au Sénat. J'ai fait un don en 1984 au Cecos de Nancy. Lorsque ma fille est née, le directeur du centre est venu nous demander avec ma compagne si nous accepterions de devenir donneurs pour aider des couples infertiles. J'ai effectué cinq dons en quelques mois et le Cecos m'a rappelé un an après car il y avait besoin "de petits frères et de petites sœurs". Pendant vingt ans, je ne me suis pas posé de questions, puis j'ai appris que des enfants cherchaient leur géniteur. Je me suis rapproché de l'association PMAnonyme. Je suis prêt à rencontrer une personne issue d'un de mes dons si elle le souhaite. Ce qui a été voté à l'assemblée, la fin de l'anonymat à la majorité de l'enfant, me convient.

«Mais le Sénat ranime la peur des jeunes issus d'un don, celle du double guichet. Si le géniteur peut décider s'il veut être contacté ou non, cela crée une insécurité. C'est une incertitude monstrueuse pour un enfant de ne pas savoir s'il pourra avoir des informations sur son donneur. J'ai envoyé une lettre au Cecos de Nancy pour leur dire qu'ils pouvaient transmettre mon identité, et j'ai réalisé des tests ADN. Moi, je n'ai pas de carence, c'est une démarche altruiste et désintéressée. Je n'ai pas d'obsession à mettre un visage sur les personnes nées de ce don. En revanche, j'ai un fils qui vit à Nancy et qui a des enfants, je pense que je leur ferais faire un test ADN s'ils sont en couple [pour éviter les risques de consanguinité, ses petits-enfants pouvant rencontrer des personnes issues des dons de leur grand-père]».

Elodie Simon, 34 ans, Ingénieure en laboratoire

«Je n'ai pas d'enfants, mais depuis très longtemps, je souhaitais devenir donneuse, car j'estime que tout le monde devrait avoir la chance de concevoir. J'ai aussi des amies lesbiennes qui ont eu une fille à l'étranger, et cela a confirmé mon choix. J'ai fait un don en novembre au Cecos de Lyon. J'aurais agi de la même manière si le don n'avait pas été anonyme. Je regrette seulement d'avoir manqué d'accompagnement pendant cette période, même si le personnel médical faisait au mieux. Je serais ouverte à rencontrer un enfant issu de ce geste, et saurais faire la part des choses. Après l'intervention, j'ai déduit que 12 ou 13 ovules avaient dû être prélevés pour les receveurs, ce qui est beaucoup, et j'ai été émue. Je trouve cela positif que les mœurs évoluent, mais je peux concevoir que cela soit un frein pour les volontaires au don. Je suis à 60% pour la levée de l'anonymat, à 40% contre : il faut demander l'avis aux géniteurs, mais il est nécessaire que les enfants puissent faire une demande auprès des Cecos pour connaître leurs origines. J'aurais aimé savoir si mon don avait réussi. J'aime imaginer qu'à Noël, une femme a pu annoncer à son conjoint que l'insémination avait fonctionné.»

Mathilde Chabard, 34 ans, agent de surveillance de la voie publique

«Je rentre en ce moment dans un protocole de dons : je vais réaliser les examens médicaux le 4 février. J'ai deux garçons de 3 ans et quatre mois, et je me suis toujours dit que le jour où j'aurais des enfants, je deviendrais donneuse. Je pense que cela vient en partie du fait que la nourrice de mon enfance, dont je suis encore très proche, m'a dit qu'elle ne pouvait pas devenir mère. Elle aurait aimé bénéficier des progrès de la médecine. Alors que j'étais encore enceinte, je m'étais renseignée auprès du centre de don de Clermont-Ferrand pour devenir donneuse. Ils m'ont rappelée pour me prévenir que la loi allait changer. Les débats sur l'anonymat m'ont vraiment questionnée. De mon point de vue, je donne des cellules, pas un enfant. Je suis également donneuse de sang et de plasma, tous ces actes sont forcément anonymes.

«Je ne sais pas si je souhaite qu'une personne issue d'un de mes dons puisse me contacter. Si on doit frapper à ma porte, j'aurai des réponses à donner, cela sera clair dans ma tête. Je ne suis en revanche pas favorable à ce que l'on recontacte les anciens donneurs. J'accepterai ce don d'ovocyte, d'autant que je parraine mon ostéopathe, car j'ai appris en discutant avec elle qu'elle était en attente pour recevoir un don.»