A l'annonce du casting de l'émission mi-janvier, beaucoup se sont émus : est-ce bien le rôle du service public d'offrir une telle tribune à François Fillon, un mois avant un procès pour «détournement de fonds publics» notamment ? Ce jeudi soir, l'ex-Premier ministre est l'invité «exceptionnel» de Vous avez la parole sur France 2 et la rédactrice en chef, Alix Bouilhaguet, défend ardemment un choix de «pure journaliste» : «Je n'ai aucun scrupule et nous n'avons pas hésité. Je trouve que son histoire est incroyable et passionnante, qu'elle a encore des répercussions sur notre vie politique. L'année 2017 a été un moment fort de la V e République, une déflagration. Et avec cette perspective judiciaire, nous sommes dans l'actualité. C'est notre travail. Lui donner la parole est légitime.»
L’argument «narratif» n’est pas irrecevable : on peut raisonnablement penser que les fanas d’information, de politique ou de récit de type «gloire et misère de…» seront rivés devant l’écran, pour le nouvel épisode d’un feuilleton qui avait saisi la France il y a trois ans. Mais, si près de l’échéance judiciaire, n’aurait-il pas fallu laisser le soin d’interroger le prévenu à un tribunal en possession de toutes les pièces ? France Télévisions offre à Fillon une magnifique occasion de soigner son image en amont d’une séquence forcément embarrassante pour sa réputation…
«Complaisance»
«Le temps judiciaire aura lieu, réplique Alix Bouilhaguet. Je rappelle que François Fillon est mis en examen, pas condamné. Doit-on s'interdire de recevoir François Bayrou ou Nicolas Sarkozy, également mis en examen ? François Fillon a quarante ans de vie politique derrière lui. Il a été Premier ministre et candidat à la présidentielle. Il a rassemblé 7 millions de voix au premier tour. Ce n'est pas rien. Il y aura des questions sur les affaires, on fera notre boulot. On ne peut pas soupçonner Thomas Sotto et Léa Salamé de complaisance.» On jugera a posteriori.
A lire aussiOpération remise en selle pour Fillon
Pour l'occasion, l'émission, diffusée en direct, adoptera la formule la plus simple possible : après un court sujet de rappel de faits, l'entretien de 1 h 15 sera mené par les deux présentateurs. Aucune intervention extérieure, ni de politiques, ni de chroniqueurs, ni de Français anonymes n'est prévue. «Ce format nous semble le plus adapté pour pousser François Fillon dans ses retranchements et pour avoir un moment de vérité», justifie Bouilhaguet. Le revenant du Trocadéro sera interrogé sur son procès à venir, mais aussi sur l'état de la France, la politique d'Emmanuel Macron, la réforme des retraites, le Brexit. Les thèmes n'ont pas été négociés entre les deux parties, selon la journaliste de France 2 : «Il n'a fait aucune requête particulière. Nous viendrons avec nos questions. Il viendra avec ses réponses.»
A lire aussiEmploi fictif : une tambouille qui pèze lourd
Sur le papier, ce numéro de Vous avez la parole promet d'être un bon coup médiatique. Le nouveau programme, lancé en septembre, en a bien besoin, ayant démarré avec des audiences très timides. En mars 2017, en pleine polémique sur ses affaires, François Fillon avait attiré 3,3 millions de téléspectateurs dans l'Emission politique, marquée par son clash avec l'écrivaine Christine Angot. Pas rancunier à cet égard, l'ancien chef du gouvernement a redit oui à France 2.
«Noël»
«Il a choisi la télévision parce que c'est encore le meilleur moyen de s'adresser au plus grand nombre. Il a choisi le service public et une émission qui existait déjà pour qu'on ne puisse pas dire qu'on lui avait taillé un truc sur mesure», explique la communicante Anne Méaux. Patronne d'Image 7, celle qu'on a récemment vue au plus près de Carlos Ghosn lors de son show depuis Beyrouth a conseillé Fillon tout au long de sa campagne présidentielle. Et elle l'affirme : l'ancien prétendant LR à l'Elysée a pris entièrement seul la décision de parler. «Nous l'avons contacté, ainsi que son entourage, dès l'automne, raconte Alix Bouilhaguet. Mais très vite, François Fillon a été notre interlocuteur principal et direct. Il a pris sa décision avant Noël et l'a actée définitivement début janvier. Nous étions plusieurs médias sur la ligne de départ.» Cela, au moins, personne ne peut en douter.