Actualisé à 22h30 avec la décision du placement en détention.
C'est peu dire que l'homme d'affaires Alexandre Djouhri, intermédiaire soupçonné d'avoir prêté main-forte au financement de la sarkozie, était attendu par la justice française. Mais tout finit par arriver : jeudi, le natif du «93», assigné à résidence depuis deux ans à Londres, a été remis aux autorités à son arrivée à l'aéroport de Roissy - selon l'un de ses proches, qui a assisté à la scène, le comité d'accueil n'a pas été des plus cordiaux, «comme s'il s'agissait d'interpeller Pablo Escobar», s'indigne celui-ci.
Vendredi matin, «monsieur Alexandre» a été formellement mis en examen par des juges d'instruction parisiens pour neuf délits présumés, dont «faux et usage de faux», «corruption active», «recel de détournement de fonds publics» et «blanchiment de fraude fiscale en bande organisée». Bref, la totale, pour l'ensemble de son œuvre.
Fuyant. Le Royaume-Uni aura pris tout son temps pour l'extrader, l'intéressé multipliant les recours pour dénoncer son mandat d'arrêt européen, émis en décembre 2017. La justice française le présentait comme ayant «plusieurs adresses à travers le monde», du genre fuyant. Seule la principale, en Suisse, a été perquisitionnée en mars 2015, un juge d'instruction et un procureur parisiens s'étant rendus sur place. Depuis Londres, où il s'est retrouvé bloqué après une visite à sa fille qui y vit, Djouhri n'a eu de cesse de dénoncer les vices supposés de la procédure : «Je n'ai jamais été en fuite, la justice française a menti, elle a commis un faux car elle ne veut pas simplement m'auditionner, mais me punir !» pestait-il via WhatsApp auprès de ses nombreux contacts. La question de la validité des deux mandats d'arrêt (le premier a été assorti de nouvelles charges en février 2018) doit d'ailleurs être débattue le 19 mars devant la cour d'appel de Paris. Après les accusations de vice de forme, les questions de fond(s).
Mallettes. S'agissant de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, aucune preuve formelle n'est venue à ce stade corroborer les soupçons de financement par le régime de Muammar al-Kadhafi, mais plusieurs mouvements de fonds suspects ont été identifiés par les enquêteurs. Un intermédiaire concurrent, le Franco-Libanais Ziad Takieddine, s'est auto-accusé d'avoir transporté des mallettes ou fait valser des flux offshore.
Salade. Djouhri, lui, n'est formellement incriminé à ce stade que pour des faits postérieurs à la campagne. En cause notamment, un virement suspect de 500 000 euros venu de l'étranger, en 2008, au profit de Claude Guéant. L'homme à tout faire de Nicolas Sarkozy s'était rapproché d'Alexandre Djouhri, au départ plutôt étiqueté chiraco-villepiniste - pas moins de 70 rendez-vous à l'Elysée entre les deux ou trois hommes à partir de 2007. La somme a été justifiée par le rachat de deux tableaux flamands, pour un prix outrageusement surévalué selon tous les spécialistes du marché de l'art. Et ce à l'issue d'une salade financière menant à Singapour. Les enquêteurs français y voient l'ombre d'Alexandre Djouhri, via une famille de dignitaires saoudiens, les Bugshan, par lesquels auraient transité les flux bancaires litigieux. Tout comme dans la sous-affaire de la villa de Mougins (Alpes-Maritimes), officiellement détenue par une nébuleuse de sociétés offshore, derrière lesquelles planerait l'inévitable Djouhri : la demeure sera rachetée 10 millions d'euros - cinq fois son prix ! - en 2009 par le grand argentier de la Libye, Béchir Salah. Lequel sera exfiltré après la révolution libyenne aux bons soins de «monsieur Alexandre» - dont l'éventail de prestations semble très large.
Reste l’état de santé de ce dernier. Selon ses proches, l’intermédiaire est affecté d’une hépatite C doublée d’une tachycardie. Dans les dernières écritures de sa demande d’extradition, le Parquet national financier vantait d’ailleurs les mérites de la section hospitalière de la prison de Fresnes… Prenant le relais des juges d’instruction qui l’ont mis en examen, un juge de la liberté et de la détention l'a placé en détention provisoire vendredi soir, conformément aux réquisitions du PNF.