Point final. La justice a refermé ce week-end le dossier Vincent Lambert, plus de six mois après la mort de cet infirmier, le 11 juillet à 8 h 24. Et plus de onze ans après son accident de voiture sur une route de Champagne, en septembre 2008, qui l’avait plongé dans un coma végétatif.
Ce fut un temps impossible, parfois utile, mais d’une infinie longueur. Pour Vincent Lambert d’abord, pour sa femme Rachel évidemment, pour ses frères et sœurs, mais aussi pour ses parents qui se sont lancés dans un combat sans fin. Aujourd’hui, même si ces derniers font de nouveau appel, l’histoire judiciaire est close.
Reste donc les médecins. Ces trois médecins qui ont eu à prendre en charge Vincent Lambert, puis à décider. Aujourd'hui, il est clair qu'ils ont été maltraités, bousculés, injuriés. Le premier, le Dr Eric Kariger, était chef du pôle Handicap au CHU de Reims. C'est lui qui a lancé, en mai 2013, la première procédure d'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation, geste qui allait être contesté par les parents de Vincent. Proche de Christine Boutin, venant de la droite catholique, Eric Kariger n'était en rien un obsédé de l'euthanasie. «Je suis médecin chrétien mais je suis médecin d'abord, affirmait-il. Je suis d'abord au service d'un malade et pas au service de mes convictions.» Pour lui, la loi était claire, sa décision aussi.
Certes, dans la pratique, il a été un rien maladroit en ne prévenant pas au dernier moment les parents de Vincent et en maintenant une légère hydratation lors de l'arrêt des traitements, mais il s'en est depuis excusé. Pour le reste, il a dû se cacher, se terrer même, et faire face à des pressions insupportables. «J'étais devenu l'homme à abattre. J'ai reçu des menaces de mort, des coups de fil anonymes. On a menacé de s'en prendre à mes enfants. Je recevais des pressions des milieux conservateurs de droite, c'est-à-dire de mon propre camp de valeurs, déplorait-il. Une véritable double peine. Ça a été très dur.»
«Attaqué pour avoir fait son métier»
Finalement, Eric Kariger a démissionné pour partir dans le secteur privé, remplacé peu après par la Dr Daniela Simon, qui était le référent de Vincent dans le service. Elle n'improvisait pas, connaissait parfaitement son travail, l'ayant suivi des mois et des mois. Très logiquement, très professionnellement, elle a relancé la procédure d'arrêt des traitements en installant une procédure collégiale, comme le demande la loi. Mais en juillet 2015, alors que tout était lancé, Daniela Simon a craqué. Elle a annoncé qu'elle décidait de surseoir à la décision d'arrêt de traitement, estimant que «les conditions de sérénité et de sécurité nécessaires à la poursuite de cette procédure, tant pour Vincent Lambert que pour l'équipe soignante, ne sont pas réunies». Rien, pourtant, n'avait changé. Que s'est-il passé ? Des menaces ? Daniela Simon n'a pas été soutenue, à l'évidence. Elle était certes médecin titulaire, mais d'origine roumaine, avec un diplôme étranger. Un statut difficile. S'est-elle sentie seule, trop agressée ? En tout cas, elle ne s'est pas sentie en état de faire simplement son travail de médecin. Puis, elle s'en est allée, quittant le service hospitalier, elle aussi.
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C'est le Dr Vincent Sanchez qui l'a remplacée. L'homme est discret, «pondéré, très rationnel, équilibré, légaliste, il veut aller au bout d'une décision validée par les juges», dira une sœur de Vincent Lambert. Lui ne dit rien. Il fait son travail et suit toutes les recommandations de bonne pratique. Rien à redire. Mais voilà, après la mort de Vincent, il sera poursuivi par ses parents pour «non-assistance à personne en danger». Lors du procès, il dira simplement : «Ce fut lourd. A chaque étape, j'ai respecté la loi. A aucun moment, je n'ai eu la volonté ni l'intention de m'écarter de la loi.» Ajoutant : «Je voulais que Vincent Lambert puisse être respecté dans ses droits. C'est à lui que je pense aujourd'hui, à son épouse, à sa famille et aussi à ses parents». Et il concluait : «J'ai le sentiment d'avoir fait mon travail», notant que Vincent Lambert faisait l'objet, à ses yeux, «d'une obstination déraisonnable».
Peu après le procès, un de ses amis nous disait : «Attaqué ainsi pour avoir fait son métier, n'est-ce pas honteux ?» La Dr Véronique Fournier, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), écrira, alors, dans une tribune à Libération : «Il y a ici un homme qui paye au prix fort ces allers et retours. La décision d'arrêt des traitements prise il y a quelques jours pour Vincent Lambert l'a été par le médecin qui l'a en charge, en accord avec son équipe, avec un courage qu'il convient de saluer. Ils l'ont prise au nom de leurs convictions cliniques les plus profondes, forgées sur l'expérience qu'ils ont de Vincent Lambert au quotidien, dans la vraie vie, et non au nom de grandes idées ou de grands principes. En faisant si peu cas du sens intime de la décision médicale prise, la justice contribue à fragiliser la confiance que la population met en ses soignants.»
Situation flottante
La suite a conforté ces mots. Ainsi, le 31 janvier, les conclusions de l'enquête en recherche des causes de la mort, diligentée aussitôt après le décès par le procureur de la République de Reims, soulignent que tout a été fait «en cohérence» avec le cadre prévu par la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie. «J'ai procédé au classement sans suite de ce dossier», a annoncé le procureur dans un communiqué, réaffirmant que cette enquête a notamment démontré qu'il n'y avait eu «aucune intervention irrégulière d'un tiers», «aucune lésion corporelle susceptible de laisser penser à une intention malveillante», ni «aucune surdose médicamenteuse». «En situation de sédation profonde et continue, le décès de Vincent Lambert est la conséquence directe et exclusive de l'arrêt des traitements et soins», a-t-il conclu.
C’est donc l’histoire de trois médecins qui n’ont fait que leur travail. En ces temps agités autour de l’hôpital, les autorités auraient peut-être pu le signaler. Et cela d’autant plus que, depuis la mort de Vincent Lambert, il y a eu la mise en cause de ce médecin généraliste près du Havre, mis en examen et interdit d’exercer pour avoir prescrit du midazolam – qui permet simplement d’adoucir le temps de l’agonie. A l’évidence, on aide toujours aussi mal les médecins dans l’accompagnement de la fin de vie, les laissant dans une situation flottante, inconfortable, alors qu’ils ne font qu’appliquer la loi.