La boîte à gifles est désormais ouverte. Depuis plusieurs semaines, le Tout-Paris du monde affaires bruissait de la possible éviction d’Isabelle Kocher à la tête d’Engie. En cause, les divergences stratégiques entre la directrice générale et le conseil d’administration du groupe de services énergétiques, au premier rang duquel son président Jean-Pierre Clamadieu.
Depuis dimanche et l'interview donnée par Isabelle Kocher au Journal du dimanche pour «répondre aux attaques qui la vise», la tension est montée d'un cran. Celle qui dirige l'ex-GDF Suez depuis 2016 et bataille maintenant depuis des semaines pour obtenir un nouveau mandat de quatre ans contre vents et marées s'y dit «motivée pour poursuivre [sa] mission». On ne saurait être plus clair. Hasard ou coïncidence, Engie s'offre une pleine page de pub dans ce même numéro du JDD. Le lendemain de la sortie de Kocher, c'est le chef de file des Verts, Yannick Jadot, qui déclare sans crier gare sur LCI : «Je soutiens cette femme qui est en train de faire changer un grand groupe énergétique français vers ce que nous portons, la révolution climatique, la révolution énergétique.»
Et mardi, une tribune signée par 53 personnalités de la vie politique ou du monde des affaires vole à son secours dans le journal les Echos : «Le non-renouvellement d'Isabelle Kocher à la tête d'Engie serait incompris et incompréhensible bien au-delà de la seule gouvernance d'entreprise», écrivent de concert des personnalités aussi diverses que Xavier Bertrand, Myriam El Khomri, Luc Ferry, Anne Hidalgo, Yannick Jadot ou encore Cédric Villani. La seule femme du CAC 40 menacée par un complot d'hommes en costumes gris… Tout cela sent évidemment le plan com bien huilé. «J'ai signé sans hésitation», indique à Libération Gonzague de Blignières le PDG du fonds d'investissement Raise. «Elle a le soutien de toutes les parties prenantes de l'entreprise que ce soient les clients ou les salariés», renchérit David Layani dirigeant de la société de services One Point et autre signataire.
Bataille de com
Un ministre important du gouvernement y va également de son soutien : «J'aurais pu signer la tribune. Je trouve qu'Isabelle Kocher fait un travail remarquable à la tête d'Engie et qu'elle a transformé l'entreprise à moyen et long terme.» De fait, en quatre ans, Kocher a désengagé l'ex-GDF Suez du charbon et a vendu pour 15 milliards d'euros d'actifs pour recentrer le groupe sur le gaz, les énergies vertes et les services liés à la transition énergétique. Avec quelques succès puisque le cours de Bourse de Engie a bondi de 42% depuis début 2017. Mais le camp Clamadieu considère que la directrice générale d'Engie ne met pas en musique comme il le faudrait la stratégie décidée par le conseil d'administration et pointe «un problème de confiance». En revanche, Bruno Le Maire, en première ligne sur ce dossier en tant que ministre de l'Economie se montre beaucoup plus prudent, pour ne pas dire distant vis-à-vis d'Isabelle Kocher : «C'est uniquement et exclusivement au regard des critères économiques que nous prendrons ou non la décision de renouveler ou non le mandat de la directrice générale d'Engie», a-t-il répondu lors des questions d'actualité à l'Assemblée nationale.
Une chose est sûre : après plusieurs semaines de silence et d'attentisme Isabelle Kocher a décidé de ne plus subir et de passer à l'offensive. Il faut dire que le temps est compté : le conseil d'administration chargé de statuer sur son sort est normalement programmé pour le 26 février. Selon des informations qu'a pu recueillir Libération, deux gros cabinets de conseil en communication sont désormais mobilisés pour mener le combat en faveur de son renouvellement. Par ailleurs des dossiers censés déstabiliser Jean-Pierre Clamadieu, le président d'Engie, commencent à faire surface. Notamment un rapport auquel il a participé pour l'institut Montaigne et qui prend position en faveur de l'exploitation du pétrole issu des gaz de schiste. «Pas vraiment en phase avec une entreprise qui se veut pleinement impliquée dans la transition énergétique», fait remarquer un défenseur d'Isabelle Kocher. Ambiance…
Différend stratégique
Du côté des proches du président d'Engie, Jean Pierre Clamadieu, on s'étonne de voir la directrice générale «aller chercher une légitimité à l'extérieur de l'entreprise» tout en rappelant que «c'est au conseil d'administration de faire le boulot» à propos du renouvellement ou non d'Isabelle Kocher. L'organe en question compte 14 membres, dont trois représentants de l'Etat, premier actionnaire d'Engie avec 26,4% du capital. Leur vote sera donc déterminant pour le maintien ou l'éviction de la seule femme à diriger à ce jour une entreprise du CAC 40. Mais il est pour le moment difficile de prévoir dans quel sens la balance penchera.
Mais il y a quelques indices. A ce jour, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, qui parle pour l’Etat actionnaire, n’a pas affiché le moindre soutien à Isabelle Kocher, ou alors comme la corde soutient le pendu. Faut-il y voir le signe que le sort de Kocher est déjà joué ? À la querelle de personnes entre les deux têtes d’Engie, s’ajoutent en, tous cas des divergences stratégiques. Isabelle Kocher serait favorable à une prise de contrôle de la filiale de services aux collectivités locales Suez, dans laquelle Engie possède une participation de 32%. Elle aurait même soumis l’idée une OPA (offre publique d’achat) d’Engie sur Suez au Premier ministre lors d’une rencontre en septembre à Matignon. Objectif : consolider le groupe et renforcer son bilan financier. Or le conseil d’administration d’Engie est vent debout contre cette idée et ne manque pas de le rappeler.
Le premier résultat tangible de la zizanie dans laquelle est plongé Engie pourrait néanmoins être une accélération du calendrier. Un conseil d’administration extraordinaire pourrait être convoqué dans les tout prochains jours, bien avant la date prévue du 26 février, de manière à trancher sans attendre le sort de la directrice générale. Il y a visiblement urgence à refermer rapidement la boîte à baffes.