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Va-tout

Hôpital : les médecins menaçaient de démissionner, ils l'ont fait

Depuis le 27 janvier, près de 400 chefs de service ont quitté leurs fonctions administratives, suscitant des réactions parfois brutales des directeurs d'hôpitaux. Lundi soir, le directeur général de l'AP-HP a joué l'apaisement.
Lors de la manifestation contre la reforme des retraites à Paris, le 17 décembre. (Photo Corentin Fohlen pour Libération)
publié le 4 février 2020 à 18h54

Entre les chefs de service hospitaliers et leur administration, la procédure de divorce est engagée. Depuis le 27 janvier, faute d'avoir obtenu l'ouverture de «négociations immédiates» sur les salaires des paramédicaux et les crédits alloués à l'hôpital public, les médecins mettent à exécution la menace de démissionner de leurs fonctions administratives, transmise par lettre le 14 janvier à leur ministre de tutelle, Agnès Buzyn. Sur les 1 266 praticiens à l'avoir paraphée, ils sont déjà près de 400 à avoir franchi le pas. Les CHU de Rennes, Lyon, Caen, Marseille, Pau, Brest, Orléans, ou les hôpitaux franciliens de Corbeil-Essonnes, Paris-Saclay, Saint-Louis et la Pitié-Salpêtrière ont payé leur tribut. Et ce n'est qu'un début.

Ville après ville, hôpital après hôpital, à Paris comme en province, le mouvement de démissions doit s’échelonner jusqu’au 14 février, date programmée par le collectif Inter-Hôpitaux pour une nouvelle journée «hôpital mort» (seuls les soins urgents sont dispensés).

«Directeurs obsédés par les chiffres»

L'offensive est d'ampleur. Et la riposte administrative parfois brutale. Dans un courrier adressé le 30 janvier à 58 chefs de service démissionnaires, le directeur de l'AP-HP Paris-Saclay a «pris acte» et relevé les impétrants de leurs responsabilités sans autre forme de procès. «Sa lettre était glaçante, dépourvue de la moindre formule de politesse, totalement irrespectueuse, dénonce le professeur Xavier Mariette, chef du service de rhumatologie de l'hôpital Bicêtre (Val-de-Marne). On a pris ça comme un faire-part, comme si on quittait l'AP-HP et qu'on cessait de travailler, alors que nous continuons de soigner nos patients, d'assurer nos cours et nos recherches.» Il poursuit : «Cela fait trente-cinq ans que je travaille à l'hôpital public, vingt ans que je suis chef de service et c'est le sixième directeur que je vois passer… Cela en dit long sur le fossé qui existe entre les médecins et les directeurs obsédés par les chiffres.»

Dans le milieu hospitalier, c'est la stupéfaction. «Traiter Mariette comme ça, un praticien aussi respecté, c'est dingue. Ils ont perdu tout sens commun, résume Agnès Hartemann, cheffe du service de diabétologie de la Pitié-Salpêtrière, elle aussi démissionnaire. Les directeurs devraient être avec nous, c'est décevant qu'ils se posent en ennemis.» 

Décrisper les relations

Devant l'indignation générale, le directeur de l'AP-HP, Martin Hirsch, a choisi le rétropédalage. Lundi soir, il a longuement reçu huit des «humiliés». Histoire de calmer le jeu plus que d'engager le dialogue. «On lui a redit l'urgence de revaloriser les salaires des paramédicaux pour arrêter l'actuelle hémorragie de personnel, tout comme celle de remédicaliser la gouvernance des hôpitaux. Il n'entend pas», regrette le professeur Mariette. Du moins, en haut lieu, consigne est passée d'apaiser les relations. En témoigne l'accueil «courtois et respectueux» que la directrice de la Pitié-Salpêtrière a réservé mardi à la délégation venue lui remettre 32 démissions. «Elle nous a même dit qu'elle ne prenait pas totalement acte de nos démissions et nous a proposé de nous revoir à intervalles réguliers pour faire le point», précise la professeure Hartemann.

Pour les directeurs d'hôpitaux, il y a urgence à décrisper les relations avec les médecins, quand bien même ces derniers boudent les réunions comptables. C'est que depuis novembre, nombre d'entre eux ont entamé une «grève du codage» des actes médicaux. N'ayant plus de visibilité sur la nature des actes hospitaliers pratiqués, l'administration est dès lors dans l'impossibilité de les facturer aux patients ou à l'assurance maladie…  «On est toujours en grève du codage, confirme Marie-Astrid Piquet, professeure de gastroentérologie au CHU de Caen, également démissionnaire. La direction essaye de nous convaincre de reprendre pour que notre établissement ne soit pas pénalisé au moment de la répartition des budgets.» Un argument auquel nombre de praticiens hospitaliers sont sensibles. Du moins si, avec leur direction, les rapports sont à la détente…