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Libération

La tâche des syndicats : dénoncer sans dissuader

Pour les fédérations, l’enjeu est de trouver le point d’équilibre entre la condamnation des violences policières et un discours mobilisateur.
Drapeaux syndicaux devant l'Opéra Garnier pour protester contre la réforme des retraites, mercredi à Paris. (Photo Alain Jocard. AFP)
publié le 5 février 2020 à 20h21

Qu'elles soient «réelles» ou «fantasmées, car amplifiées par le poste de télé», les craintes d'être confronté à des violences «pèsent» sur les manifestations, constate Benoît Teste, secrétaire général de la FSU, première fédération chez les enseignants, et membre de l'intersyndicale qui combat, depuis le 5 décembre, la réforme des retraites dans la rue. «Des collègues nous disent qu'ils ne viennent pas car ils ont peur. Mais c'est de moins en moins le cas par rapport au début du mouvement. On voit des gens revenir avec des gamins», poursuit le syndicaliste.

«Envie». «Il y a quelques années, certains croyaient que seuls ceux qui commettaient des délits pouvaient être victimes de violences policières ou d'arrestations, note de son côté Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT. Aujourd'hui, on se rend compte que cela peut arriver à une personne lambda. C'est vrai que cela dissuade, les gens n'ont pas envie de perdre un œil, d'être mutilé.» Pour autant, ces dernières semaines, la cégétiste note aussi «un regain de participation». Elle explique : «En 2016, des manifestations [contre la loi travail] se sont très mal passées, avec l'utilisation de lanceurs de balles de défense et de grenades lacrymogènes par les forces de l'ordre. Les gens, notamment les familles, se sont alors posé la question de leur participation aux manifs. Aujourd'hui, même si la problématique du maintien de l'ordre est toujours là, on sent qu'ils ont tout de même envie de se mobiliser.»

Entre dénonciation des violences policières et peur de nourrir un discours trop anxiogène, les centrales syndicales cherchent le bon équilibre. «Il faut dénoncer les dérives inquiétantes, car ce qui est en jeu, c'est l'avenir du droit de manifester, relève Benoît Teste. Mais nous avons aussi la volonté de ne pas dissuader, de ne pas céder à la panique.» «C'est toujours compliqué, reconnaît Céline Verzeletti. C'est un peu comme les discriminations à l'égard des syndicalistes : si on les dénonce trop fort, les salariés risquent de ne retenir que le message qu'il ne faut surtout pas se syndiquer.»

«Festif». Tout en notant «un contexte général de tensions qui peut rejaillir sur le droit de manifester», le secrétaire général de FO, Yves Veyrier, relativise de son côté cette crainte de défiler dans les rues : «Je n'ai pas le sentiment qu'il y ait une forte peur. On a quand même réuni des centaines de milliers de personnes depuis le début de la mobilisation et il n'y a pas eu de problème particulier dans les manifestations syndicales.» Pourtant, certains n'ont pas sauté le pas. Parmi les militants de la FSU, ils sont quelques-uns, raconte Benoît Teste, à être effrayés par les gros cortèges mais soucieux de «s'inscrire toutefois dans la mobilisation», à avoir opté pour des actions plus locales ou symboliques. Comme réaliser et diffuser des vidéos, ou participer à des actions de dépôt d'objets. «Ces initiatives font aussi exister la mobilisation, car Internet leur donne une caisse de résonance», pointe le représentant de la FSU. Non sans quelques réserves : «Certes, les retraites aux flambeaux, par exemple, ont une image plus pacifique car il n'y a jamais eu de débordement dans ce cadre. Mais les actions réunissant moins de monde sont parfois plus exposées que les grandes manifestations», prévient-il.

Pour Teste, les centrales ont aussi une carte à jouer : rendre les cortèges syndicaux des manifs plus attractifs afin de convaincre ceux qui les désertent de les rejoindre. «On essaie d'animer davantage. Quand il y a un côté plus festif, cela entretient l'idée que les manifestations sont plus sereines», explique le syndicaliste, pour qui les grandes manifestations doivent rester centrales. D'autant que ces dernières sont «sécurisées», avec la présence notamment des services d'ordre des syndicats. «C'est une illusion de penser que l'on ne peut faire que des actions, certes visibles, mais isolées, avance-t-il. A un moment, il faut fédérer.»

Mais les manifestants n'ont pas attendu les centrales pour ambiancer les cortèges. Depuis le début de la mobilisation, des «actions inédites, comme des danses, des chants», souvent nées en dehors des centrales, se sont développées, note Céline Verzeletti : «C'est une manière de se rendre visible, mais aussi de réagir à la violence qui a pu survenir dans les manifestations passées.» Exemple avec la très virale chorégraphie «A cause de Macron» lancée par l'association Attac. «De plus en plus de femmes y participent car elles se sentent en sécurité dans ce collectif, poursuit Verzeletti. On voit quand même mal des policiers s'en prendre à un tel groupe…»