Il a participé au débarquement en Normandie en 1944, combattu en Indochine jusqu'à la défaite de Diên Biên Phu, enchaîné avec la guerre d'Algérie, avant de devenir maire et président du club de foot de sa ville. A 97 ans - 98 en avril -, le doyen des maires de France a eu mille et une vies. Loin d'être fatigué, Marcel Berthomé, qui se décrit lui-même comme un «combattant», a décidé de repartir en campagne. Fin mars, il espère rempiler pour un nouveau mandat à Saint-Seurin-sur-l'Isle, une commune de 3 200 habitants dans le nord-est de la Gironde. Pour la première fois depuis sa première élection, en 1971, Marcel Berthomé devra composer avec une liste adverse. En 2014, il avait été élu dès le premier tour, recueillant les suffrages de huit votants sur dix. Cette fois, il aura face à lui Jean-Marc Sallaberry, qui n'hésite pas à dépeindre Berthomé en «dictateur qui ne supporte pas la contradiction».
C'est dans son bureau aux allures de musée que l'ex-militaire choisit d'évoquer son parcours. Face à lui, pas l'ombre d'un ordinateur ou d'un portable. «J'ai toujours fonctionné ainsi, je ne vais pas changer aujourd'hui, tranche l'édile. Tout est dans la tête, et puis je trouve qu'on passe beaucoup trop de temps sur ces objets.» A la place, la maquette d'un bombardier de la Seconde Guerre mondiale trône sur son bureau à côté d'un petit buste de Napoléon, «un personnage que j'admire». Derrière lui, des pans entiers de murs sont tapissés d'images de généraux, de médailles, de coupures de journaux… «Des vestiges de mon passé dont je suis très fier. Ça a forgé mon caractère», explique l'homme qui a connu trois guerres en balayant la pièce du regard. «J'occupe ce fauteuil depuis 1971, j'ai eu le temps de peaufiner la déco», s'amuse-t-il en pointant du doigt un portrait de Saint-Exupéry. Et sans sourciller : «Lui, j'ai même eu la chance de le rencontrer deux fois.»
«Danseur»
Quand on l'interroge sur son âge, Marcel Berthomé n'y va pas par quatre chemins : «Evidemment, on me parle toujours de ça. Mais pour moi, ce n'est pas ce qui compte. Je ne suis pas dans une course à la performance. Mon objectif, c'est surtout que la commune soit agréable à vivre. Qu'on ait tous les équipements nécessaires. J'en ai encore sous la pédale pour continuer tout ça.»
Le nonagénaire l'assure, il s'est par exemple battu pour faire construire une médiathèque ou un complexe aquatique à Saint-Seurin. Et il se dit aujourd'hui prêt pousser d'autres projets, comme encourager davantage les valeurs du sport à l'école : «Le sport, c'est le goût de l'effort, c'est le goût du surpassement, c'est la volonté de gagner. Quand un homme a le culte du résultat, je crois qu'il arrivera un jour ou l'autre à réussir. Le courage aussi, c'est important. Le courage d'aller au bout de ses idées.»
Costume, boutons de manchette, cheveux ostensiblement teints en noir, Marcel Berthomé met un point d'honneur à toujours être impeccable. Pour parfaire son allure, l'élu possède quatre commodes de cravates. «Ça force l'admiration un tel entrain à son âge», commente Jean-Paul, accoudé au bar PMU de Saint-Seurin. «On est plutôt fiers d'avoir un maire qui a autant d'expérience. Il sait de quoi il parle au moins. En plus, ça fait parler de nous», renchérit Pierre, son voisin de table.
Rencontrée chez le coiffeur, Lucie, 70 ans dit l'avoir toujours connu, «aussi loin que je m'en souvienne». «C'est un très bon maire, très proche des gens. Et aussi un excellent danseur», glisse la pimpante retraitée. «Après, je m'interroge forcément : même s'il a toujours la motivation, est-ce qu'il peut tenir aussi longtemps ? S'il gagne, nous allons avoir un maire centenaire», pointe-t-elle.
Marcel Berthomé promet de son côté qu'il est en pleine forme : «Autant que je l'étais en 2014 !» Les secrets de sa longévité ? Il ne s'interdit rien, sale ses plats et boit même du whisky. L'ancien combattant, maintes fois décoré, a aussi la réputation d'être intraitable. «Il ne supporte pas le manque de respect. On peut presque dire qu'il est réac», confient Gyslaine et son mari, qui habitent à Saint-Seurin depuis cinq ans.
«Rebelles»
Tous se souviennent, entre autres, de son intervention remarquée auprès d'Emmanuel Macron, il y a un an à Bordeaux. Pendant la tournée du grand débat, Marcel Berthomé avait interpellé le président de la République pour lui demander de mettre un terme «aux défilés insupportables de manifestants rebelles». Comprendre, les gilets jaunes. Le maire ne les tient pas particulièrement dans son cœur, lui qui exècre l'insubordination et prône un retour des «valeurs morales». L'édile avait d'ailleurs refusé de mettre en place des cahiers de doléances dans sa mairie pour recueillir la parole des gilets jaunes.
Au gré des classements politiques, on l’a dit «divers gauche», mais «sans étiquette» paraît mieux lui convenir. Son président préféré, c’est Pompidou et non de Gaulle, à qui il reproche d’avoir été trop mou face aux étudiants et à Daniel Cohn-Bendit en mai 1968. Il a successivement voté pour Mitterrand, Sarkozy ou Macron.
Avant ce nouveau scrutin municipal, le maire sortant a conscience qu'il devra un jour passer le flambeau. «De préférence à quelqu'un de mon équipe. Il y a beaucoup de personnes très compétentes», estime Marcel Berthomé. D'ailleurs, il ne s'en cache pas : sa seconde fille, qui est aussi sa première adjointe, serait à ses yeux «parfaite dans ce rôle».