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Libération
Une semaine en Seine-Saint-Denis (2/6)

A Bobigny, la gauche espère reprendre son fief

Fouad Ben Ahmed en 2018, à la cité de l'Etoile à Bobigny. (Denis ALLARD/Photo Denis Allard pour Libération)
publié le 10 février 2020 à 21h01

Lundi matin : Fouad Ben Ahmed reçoit à l'Abreuvoir, une cité réputée de Bobigny. On se balade dans un décor atypique. Des tours en forme de vague, d'autres aux allures de tourniquet - signées de l'architecte Emile Aillaud. Le candidat socialiste à la mairie croise quelques âmes. Un petit mot et un tract pour chacun. Fouad Ben Ahmed a grandi dans le quartier. Il connaît toutes les têtes. Celui qui se voit maire raconte l'histoire : l'Abreuvoir est une sorte de village qui a vécu des années lumineuses avant de plonger dans le dur. Les commerces sont rares, les façades d'immeubles fades et l'herbe ne pousse presque plus. Un plan de rénovation urbaine est dans les tuyaux. Une association du coin, Respect et dignité pour les habitants de l'Abreuvoir, veille au grain : elle craint que la population actuelle soit remplacée par une autre «plus présentable». Un membre de l'association souligne que les «gens du coin» sont attachés à leur quartier.

Fouad Ben Ahmed interroge : «Ça voudrait dire que c'est bien pour nous quand c'est moche et qu'il faut laisser la place quand ça devient beau?» A chaque fois qu'une discussion débute, le maire en prend pour son grade. La ville est passée à droite en 2014. Un choc dans le décor départemental. Une nouvelle page qui a entraîné une crise politique : des bastons entre élus, des ragots et la justice qui fouille dans le bureau de l'édile soupçonné d'acheter des voix. Du coup, le maire sortant, Stéphane de Paoli, a décidé de ne pas se représenter. Il passe le relais à son premier adjoint, Christian Bartholmé, sous le regard (obligatoire) du député du coin, Jean-Christophe Lagarde. Il valide toutes les décisions : le président de l'UDI est une sorte de «Baron noir» local.

«L’heure est grave»

La gauche espère reprendre les commandes après une mandature folle. Le communiste, Abdel Sadi, conseiller municipal d'opposition, y croit très fort. Fouad Ben Ahmed, aussi. Beaucoup espèrent que le rouge et le rose s'allient entre les deux tours pour faire tomber la droite. En attendant, la campagne se déroule dans une sale ambiance. Des affiches arrachées et des mauvais regards entre les différentes équipes. Presque la routine lors d'une élection locale. Fin janvier, la violence a passé un cap : le QG de campagne de Fouad Ben Ahmed a brûlé en pleine nuit. Un incendie «volontaire», selon le candidat. «Je n'ai pas peur pour moi mais parfois je crains pour ma famille», lâche-t-il. Une enquête est ouverte.

En fin de matinée, le socialiste tombe sur une connaissance, au quartier du Pont-de-Pierre, qui s'épanche sur une jeunesse «de plus en plus violente» qui «s'invente une vie» à cause des réseaux sociaux et des politiques qui ont «perdu le sens des responsabilités». Café à la main, clope au bec, il argumente : «Personne n'est à la hauteur, l'heure est grave et tout le monde veut être maire, ils font tous des promesses, ils se disent tous citoyens, franchement c'est n'importe quoi, la ville va droit dans le mur.» Le quadragénaire s'arrête un instant, il regarde Fouad Ben Ahmed et lâche : «Je ne dis pas ça pour toi.»