Menu
Libération
Comment ça va le commerce ?

A Melun, une vendeuse de timbres et de pièces à conviction

Installée en Seine-et-Marne, la commerçante se passionne pour les timbres et pièces qu'elle vend. Cette ex-présidente de l'association des commerçants de Melun jongle entre sa boutique de centre-ville et les réseaux sociaux pour diversifier sa clientèle.
Patricia Hazard estime que son chiffre d'affaire provient à 50% de monnaies et de timbres et à 50% de matériel de rangement. (Photo Marie Rouge pour Libération)
publié le 11 février 2020 à 7h04

Comme en 2017 à l'approche de la présidentielle, Libération retourne ausculter les réalités de la vie commerçante à l'occasion des élections municipales.

«Regardez cette monnaie royale de Louis XV, elle vient de l'atelier de Rouen, je l'estime à 250 euros… et ce revers travaillé de la reine Victoria d'Angleterre, c'est sublime. Cette pièce de monnaie vaut dans les 100 euros.» Ainsi s'enthousiasme Patricia Hazard, numismate philatéliste qui tient la Bourse aux collections, dans le centre-ville de Melun. Leçon numéro 1 : on juge une monnaie en fonction d'un métal, un poids, un atelier monétaire et un état de conservation. Leçon numéro 2 : un timbre, soit oblitéré soit neuf, est jaugé en fonction de sa denture et de son centrage. Nous voilà briefés.

Du haut de ses vingt-cinq ans de carrière, Patricia Hazard, 50 ans, surnommée «Patricia la timbrée», parle de son métier avec fougue dans l'antre de sa «caverne d'Ali Baba», sans doute la seule boutique de ce genre en Seine-et-Marne. Elle fait tinter des pierres dans la poche de son pantalon noir. «Elles restent chaudes comme ça», dit-elle avant de détailler une par une leurs propriétés : «Ça, c'est de la citrine pour la joie de vivre, de l'améthyste pour l'antistress…»). Hazard, qui s'amuse de ce patronyme alors qu'elle s'est prise de passion «par hasard» pour la monnaie, les timbres et les pierres, explique comment les recharger : «Vous leur parlez, vous leur dites que vous avez l'intention de bien les nettoyer et surtout vous regarderez mon insta.» La numismate philatéliste a entrepris récemment cette activité pour diversifier sa clientèle vieillissante.

«J'ai été formée sur le tas», explique la commerçante d'origine portugaise. Après des études d'histoire de l'art, elle commence à l'âge de 20 ans une formation de vente avec un professeur numismate, ancien président du syndicat national des experts numismates, qui avait besoin d'aide. «J'ai travaillé avec lui pendant neuf ans puis il a vendu sa boutique de Paris pour s'installer en Seine-et-Marne. J'ai passé ensuite quatre années chez un autre grand philatéliste avant de racheter, il y a quinze ans, ce magasin qui appartenait à mon premier patron», sourit-elle.

«Un objet qui a vécu, qui a peut-être acheté la maison de ses rêves»

Pour Patricia, ce premier boulot s'est mué en passion : «J'ai découvert qu'une monnaie est un objet artistique à part entière qui raconte une histoire dans la grande histoire.». Elle adore passer quatre à cinq heures à tester un lot de monnaie même si elle ne vaut pas grand chose puis la référencer pour la mettre en vente. «Il y a un côté chasse au trésor», rit-elle avant d'enchaîner, un brin midinette : «Si vous êtes à une soirée et que vous avez le malheur de dire ce que vous faites dans la vie, vous avez toujours quelqu'un qui a une collection à vous montrer.»

Melun, 23 janvier 2020. Portrait de Patricia Hazard.Photo Marie Rouge pour Libération

Son souvenir professionnel le plus marquant ? Un lot de monnaies médiévales que son «patron» lui avait demandé de décrypter. Quand on lui demande pourquoi elle porte autant d'intérêt à la monnaie, elle s'emballe : «C'est d'abord un objet qui a vécu, qui a peut-être acheté la maison de ses rêves. La monnaie ça existe depuis le VIsiècle avant Jésus Christ. Auguste, l'empereur romain, était déjà collectionneur de monnaie.»

Quant aux timbres, ils sont plus récents puisqu'ils datent de 1849 (en France) et feraient voyager différemment. Elle est ravie que les timbres gravés reviennent à la mode ces dernières années à la place des images imprimées. «Jusque dans les années 70, il y avait un artiste derrière la fabrication de chaque timbre quand dans les années 90 on faisait beaucoup d'imageries», précise-t-elle avant de nous montrer, toujours d'humeur blagueuse, sa corbeille, elle aussi totalement timbrée.

Une activité en mutation

Parce qu’elle considère que le commerce de proximité et de centre-ville est en déclin à cause des gens qui se déplacent de moins en moins en magasin, Patricia Hazard refuse de laisser l’évolution de son activité à la chance et cherche à la faire connaître à fond sur les réseaux sociaux depuis 2015 avec deux pages Facebook et deux comptes Instagram («la Bourse aux Collections» et «Melun minéraux»). Elle démarche aussi ses clients sur Ebay, Delcampe, Amazon… et se fait aider par une collègue à mi-temps. Elle confectionne également des bijoux et crée des tableaux tout en timbres. C’est toute cette diversité d’activité qui fait que le chiffre d’affaires de sa boutique a progressé l’année dernière alors qu’il était en baisse depuis 2012. Sans dévoiler de détails, Patricia Hazard estime qu’il provient à 50% de monnaies et de timbres et à 50% de matériel de rangement.

La quinquagénaire, qui porte autour du cou un médaillon timbré à l'effigie de la reine Victoria, ne cherche pas à vendre des timbres et des monnaies hors de prix : «Je m'adapte à ma clientèle. On peut avoir des timbres jusqu'à 500-600 euros et des monnaies qui atteignent 2 000-3 000 euros.» Si les variations de prix et de collections dépendent des fournisseurs, la commerçante martèle que tout un chacun est en mesure de se constituer une collection quel que soit son budget. La numismatique obéirait aussi à des phénomènes de mode.

Elle tient aussi à signaler qu’elle travaille avec la section jeunesse du club philatélique de Melun et la société melunaise de timbrologie (SMT) pour sensibiliser le jeune public.

«Ils ne voient pas ce qu’on fait au quotidien»

Dès qu'on s'écarte de son corps de métier pour parler politique, Patricia Hazard garde toute sa sagacité. «Vous avez en face de vous une ancienne présidente de l'association des commerçants de Melun, la plus grosse association de Seine-et-Marne, qui s'est beaucoup investie dans le développement du commerce de la ville», dit-elle avant de lancer une pique : «On n'est jamais en adéquation avec la mairie parce qu'on a affaire à des gens qui ne voient pas ce qu'on fait au quotidien. Je suis la première à dire qu'il faut mettre en place un plan de circulation de la ville et remédier au problème de stationnement pour aider les commerces de proximité. Et puis les charges grimpent en permanence.» La dernière fois qu'elle a croisé le maire, elle lui a d'ailleurs bien notifié sa désapprobation à propos des travaux dans sa rue.

Si l'ancienne présidente habite Fontainebleau, elle vote à Melun et suit de près les élections locales d'autant plus que le bureau municipal se situe dans sa rue. «Je les vois tous arriver, on s'appelle par nos prénoms», s'amuse celle qui se dit ni de gauche ni de droite dans une ville gouvernée par les Républicains.

En nous dévoilant une collection personnelle de porte-clés et de coupe-ongles faits avec de la monnaie, Patricia Hazard se souvient avec nostalgie de son premier jour dans un salon numismatique à l'hôtel George V. «J'étais la seule femme et je ne connaissais pas grand-chose, je me suis armée de mon plus beau sourire pour affronter les clients qui cherchaient à tester mes compétences parce que j'étais jeune et femme», dit-elle. Elle se met à chercher un billet qui la fait beaucoup rire en s'excusant d'être un peu foutraque. Sur une feutrine, elle le dépose à l'aide d'une pince et explique avec un ton légèrement solennel : «Ceci est un billet des années 30-40 fait par des graveurs et qui représente deux allégories : la science pour l'homme et le travail pour la femme.» Un exemple de ce que ces objets peuvent dire d'une époque.