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Règles : des artistes impliquées à sang pour sang

Certaines œuvres ou happenings ont participé à briser le tabou autour des règles.
En 1971, Judy Chicago réalise une lithographie intitulée ironiquement Red Flag («drapeau rouge»). (Donald Woodman. ARS. NY. ADAGP)
publié le 11 février 2020 à 20h31

Au petit matin, le 11 octobre 2017, l'eau d'une quinzaine de fontaines parisiennes a viré rouge sang. Sur des draps blancs accrochés à ces fontaines, le collectif féministe Insomnia a signé son acte avec ces slogans : «Le sang de la violence ne choque pas, le sang des règles dégoûte» ou «Nos règles, ils s'en tamponnent». En résumé : à bas le tabou des menstrues et un peu de considération, s'il vous plaît, pour ce phénomène naturel.

D’autres militantes aussi, tel Osez le féminisme en 2015, ont bataillé ferme contre les superstitions, les préjugés et l’ignorance crasse qui collent aux règles ; les mots «impur» et «souillure» accolés par les religions ; les interdits (en Ethiopie par exemple, un homme ne doit pas consommer la même nourriture qu’une femme menstruée) et l’évitement du sujet. Le mot «règles» n’a été utilisé dans la pub qu’à partir de 1985, tandis que le rouge du sang a longtemps été remplacé par du liquide bleu.

Ironique

Dans ce combat voué à décomplexer, libérer en montrant, nombreuses sont celles qui ont procédé dans les règles… de l'art. Parmi les pionnières, chapeau bas à l'artiste américaine Judy Chicago (de son vrai nom Judy Gerowitz). Dès 1971, elle ose une lithographie au titre aussi ironique que culotté : Red Flag («drapeau rouge»). L'œuvre est crue : on y voit deux cuisses écartées, avec une main qui retire du vagin un tampon imbibé de sang menstruel.

En 1972, rebelote. Dans l'une de ses installations, Menstruation Bathroom, elle met en scène une salle de bains immaculée. Mais la poubelle déborde de tampons et de serviettes périodiques usagés. Ce travail s'intègre dans l'exposition «Womanhouse» (qu'elle a elle-même initiée avec l'artiste féministe canadienne Miriam Schapiro). C'est l'une des toutes premières expos d'art féministes, elle comprend 17 projets qui illustrent des expériences de femmes dans une société discriminante en écho au livre de Betty Friedan la Femme mystifiée (1963).

Le portrait de Donald Trump que Sarah Levy a peint avec son propre sang menstruel.

Sarah Levy

A compter des années 2000, le mouvement s'amplifie. Et voici des femmes qui clament faire de «l'art menstruel» ou «menstrala», terme forgé par l'Américaine Vanessa Tiegs qui allie menstrues et mandala. L'idée ? Représenter la menstruation et /ou utiliser le sang menstruel comme «médium» (façon encre rouge). Et Tiegs invite à réfléchir aux symbolismes du sang de la femme : fertilité renouvelable, tabou profondément conditionné, le plus ancien mais le moins compris ; chagrin pour les femmes essayant de concevoir, opportunité cyclique d'autointrospection profonde… Sa démarche a sans doute inspiré Sarah Levy. En 2015, l'artiste activiste épate la galerie en réalisant un portrait du candidat Donald Trump avec son propre sang menstruel : voilà pour toi, vieux sexiste…

«Croyances»

En France, John Anna, auteure d'un projet intitulé «Womanstruation», multiplie les œuvres réalisées avec son propre sang. La photographe portraitiste Marianne Rosenstiehl (voir ci-dessus) s'est, elle, attelée à démonter le tabou dans une expo intitulée «The Curse, la malédiction» (au Royaume-Uni, certaines femmes appellent ainsi leurs règles) tant elle était «intriguée» depuis son adolescence «par l'invisibilité des règles».

Lancée dans un grand œuvre sur l'histoire de la misogynie, la photographe-plasticienne espagnole Laia Abril démonte de son côté les «croyances menstrueuses» avec des symboles (type un pichet de sang rouge sur fond bleu) et une mise en scène de pensées absurdes qui viennent de loin : au XVIIIe siècle à Saigon, les femmes ne pouvaient travailler dans le monde de l'opium, de crainte que leurs règles ne rendent la drogue trop amère…