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Libération
Récit

A droite, Xavier Bertrand fait le premier pas vers une réconciliation intéressée

Le président des Hauts-de-France se rapproche de ses anciens camarades de LR, dont il avait quitté les rangs en 2017. L’ancien ministre se prépare à la présidentielle de 2022, avec les régionales comme tremplin.
Xavier Bertrand, avec Eric Woerth, lors de l’université d’été de LR, au Touquet, en août 2017. (Photo Albert Facelly)
publié le 12 février 2020 à 21h06

La vidéo a déclenché, mercredi, les applaudissements des députés Les Républicains. Sur l'écran, le patron du groupe LR à l'Assemblée, Damien Abad, et, c'est moins courant, le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand. Le premier, dit le second, a «mille fois raison» d'organiser un colloque sur la réforme des retraites. Les idées de la droite sur le sujet, poursuit Bertrand, sont «claires et courageuses». Elle serait d'ailleurs «la seule à faire des propositions hyper concrètes». L'élu picard s'engage à s'intéresser «beaucoup» aux travaux de ses anciens camarades. Autrefois, la scène aurait passé pour banale. Elle donne aujourd'hui à spéculer sur les relations entre Bertrand et le parti qu'il a quitté fin 2017, dénonçant alors sa «dérive» sous la présidence de Laurent Wauquiez.

«J'ai été élu [à la tête des députés] parce que je n'appartiens à aucun clan, poursuit Abad, resté en bons termes avec l'ancien ministre du Travail. Donc je souhaite que notre groupe soit ouvert à toutes les personnalités, que ce soit [Xavier] Bertrand, [Valérie] Pécresse, [Laurent] Wauquiez ou [François] Baroin.» Tous sont réputés présidentiables. Bertrand et Pécresse en particulier, qui se cachent à peine d'envisager une candidature en 2022. L'intervention vidéo du président de région survient deux semaines après son apparition aux côtés du vice-président de LR, Guillaume Peltier, dans une réunion publique organisée par ce dernier à Saint-Quentin (Aisne). Certains chez LR s'en persuadent : Xavier Bertrand le désencarté redécouvrirait les vertus d'un parti dont il sollicitera bientôt la bienveillance… et les électeurs. «La bonne nouvelle, c'est que nous sommes redevenus désirables, sourit un député LR. Ça nous avait un peu passés jusqu'ici.»

Galop d’essai

Pour Bertrand, les termes de l'équation ont changé. Procureur de la ligne populiste-identitaire de Wauquiez, il a ces derniers temps, reconnaît-il, «moins à râler» sur les accents «droite sociale» de la nouvelle direction de LR, menée par Christian Jacob. Mais il n'ignore pas non plus que cette équipe est réputée travailler à la candidature présidentielle du populaire François Baroin. Surtout, estime un cadre LR, Bertrand «a suffisamment de lucidité pour voir que sa région est menacée l'année prochaine [aux régionales de 2021, ndlr]. Il a donc intérêt à ne pas injurier l'avenir en se coupant du parti. Car même s'il représente quelque chose, il n'est pas spécialement apprécié en interne».

Se rapprocher, mais pas se renier : telle serait la ligne d'un Bertrand qui ne reprendra pas sa carte chez LR, et n'en sollicitera pas non plus l'investiture aux régionales l'an prochain. L'homme assure aussi ne pas vouloir participer à une éventuelle primaire de droite - dont Christian Jacob, du reste, se passerait volontiers. «Je serai un candidat issu de la droite, mais pas le candidat de la droite», confie-t-il en petit comité. A LR, «ils choisiront qui ils veulent, mais même un candidat sympa de la droite moderne avec le vent dans le dos, ça fait 12 % au premier tour. Et à 20 h 30, il faudra se désister pour Macron en priant pour que ça passe». Sous-entendu faire barrage au Rassemblement national.

Auprès de ses interlocuteurs, accréditant l'idée d'un galop d'essai élyséen, c'est un autre schéma que dessine le président des Hauts-de-France, celui d'un «camp républicain très élargi», soudé autour «de cinq ou six points clés qui parlent aux gens» et capable d'entraîner, outre la droite, une partie de l'électorat populaire. C'est pour atteindre celui-ci que l'ex-ministre du Travail a fait du verbe «protéger», appliqué à tous les domaines de l'action politique, le fil rouge de ses dernières interventions. De l'industrie aux retraites, en passant par l'écologie. «Je ne serai jamais le plus vert de la planète politique, mais enfin il faut protéger les générations futures», explique-t-il dans ses déjeuners parisiens, qu'il multiplie ces temps-ci.

Stratégie

Plus présent dans les médias ces dernières semaines, c'est à la sécurité qu'il a consacré, début février, un long entretien dans le Journal du dimanche. A ses yeux, le sujet est la principale lacune d'Emmanuel Macron, ce chef de l'Etat dont il aimerait détourner les sympathisants de droite. Et une partie de la réponse aux insécurités «physiques, sociales et culturelles» qu'il diagnostique dans les parties les plus fragilisées de l'opinion. Quant à la stratégie électorale, elle s'affine également petit à petit. «Avec l'émiettement de la vie politique et l'échec d'En marche, on sera amené à composer. Dans les années qui viennent, on rentrera forcément dans des logiques de coalition», déclarait-il fin 2019 devant le think tank Global Center for the Future - un cénacle qui, selon son organisateur, «n'invite que des gens qui ont un passé ou un avenir présidentiel».

Le président des Hauts-de France veut faire des prochaines régionales, prévues en 2021, un banc d'essai. «Les régionales, c'est la primaire», l'entendent répéter ses visiteurs. Retenant le projet d'une liste de très large rassemblement et les bénéfices attendus des projecteurs braqués sur son fief. «Tout le monde va s'intéresser aux régionales cette fois-ci, et à mon bilan, s'est-il félicité récemment devant des journalistes. Pour un candidat avec moins de moyens qu'un président de la République sortant, c'est de la publicité gratuite.» En septembre, Xavier Bertrand avait expliqué clairement que ce serait à quitte ou double : «Si dans les Hauts-de-France, six millions de Français ne souhaitent pas que je continue, je n'ai aucun crédit pour être candidat à l'élection présidentielle. C'est une évidence.»