C'est pour «lutter contre les impayés de loyers» que la Fnaim prétend mettre en place un fichier des locataires «mauvais payeurs». Une «liste noire» dont ne veulent pas entendre parler les associations de consommateurs et de locataires. Pour l'association Consommation logement cadre de vie (CLCV), le fichage proposé par la Fnaim est révélateur d'une «vision partiale» des rapports locatifs. Car si des locataires ne règlent pas leur loyer, quid des propriétaires qui traînent les pieds pour changer la vieille chaudière hors d'usage, ne restituent pas le dépôt de garantie, ne justifient pas les charges locatives, ne délivrent pas de quittance de loyer, refusent de faire des travaux pour mettre aux normes une installation électrique dangereuse ou louent des logements insalubres ou en péril comme à Marseille ? «Y aura-t-il donc un fichage du bailleur ?» interroge malicieusement la CLCV, pointant en creux le parti pris de la Fnaim. Les professionnels de l'immobilier ne sont-ils pas censés être des intermédiaires neutres entre locataires et propriétaires ?
Les statistiques du ministère de la Justice montrent que la question du loyer est loin d’être le seul grain de sable dans les rapports locatifs. L’impayé est même un fait minoritaire parmi les 11,5 millions de locataires que compte le pays. Mais lorsqu’il survient, il peut être très pénalisant pour le bailleur. Celui-ci a cependant la possibilité de se protéger par divers biais.
Combien d’impayés de loyer en France ?
Selon les chiffres du ministère de la Justice, (un peu anciens mais qui ont l'avantage de la précision), en 2017, les propriétaires ont engagé près de 147 000 procédures devant les tribunaux afin d'obtenir l'expulsion de leur locataire pour impayé de loyer. Un chiffre publié par Infostat Justice (1) à rapporter aux 11,5 millions de locataires (6,6 millions dans le parc privé, et 4,9 millions dans le public). Ce qui fait un taux d'impayés de 1,3%. Sans doute faut-il ajouter aux chiffres du ministère des situations d'impayés qui n'arrivent pas devant la justice (le locataire plie bagage avant même que le propriétaire ne se tourne vers un tribunal). Mais finalement le non-paiement du loyer reste rare et concerne moins de 2% des locations. D'où la colère des associations de consommateurs ou de locataires, contre la création d'une liste noire de locataires alors que les professionnels de l'immobilier ne sont pas exempts de reproches. «En janvier, nous avons publié une étude qui révèle que 30% des annonces de location des professionnels de l'immobilier ne respectent pas l'encadrement des loyers. Les tarifs affichés dépassent les seuils prévus par la loi», souligne David Rodrigues, juriste à la CLCV, qui invite la profession, et notamment la Fnaim à balayer devant sa porte.
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Les chiffres du ministère de la Justice, montrent d’ailleurs que de nombreux autres litiges (186 000 qui s’ajoutent aux 147 000 procédures pour impayés) ont concerné le secteur du logement : mauvaise exécution de travaux d’entretien, conflits de copropriété, affaires de voisinage… Parfois ce sont les locataires qui saisissent les tribunaux, pour obtenir du propriétaire l’exécution de travaux pour remédier à l’insalubrité de leur logement, ou la restitution de leur dépôt de garantie. Les contentieux dans l’habitat ne sauraient se réduire aux seuls impayés de loyers.
Quid de l’impayé lorsqu’il survient ?
La plupart des baux de location comportent une clause résolutoire. En cas de non-paiement, le juge saisi par le propriétaire ne peut que constater la résiliation du bail. Le locataire défaillant devient alors un occupant sans droit ni titre du logement. Pour justifier la mise en place d'un fichier des locataires «mauvais payeurs», les professionnels de l'immobilier pointent la lenteur des procédures judiciaires. Ils montent en épingle des exemples où l'expulsion du locataire défaillant a pris trois ans ou plus. Mais selon Infostat Justice, «les demandes opposant propriétaire et occupant sont tranchées en sept mois lorsque les deux parties sont présentes pendant l'audience, cinq mois dans le cas contraire». Les procédures à n'en plus finir sont rares. «Les demandes d'expulsion d'un locataire en situation d'impayé font rarement l'objet d'appel (3% seulement)», indique l'étude. Ajoutons que, dans certains cas, les locataires décampent avant même le jugement et parfois dès réception de la lettre recommandée les informant de la procédure judiciaire engagée à leur endroit. Mais d'autres occupants s'accrochent. Souvent parce qu'ils ne savent pas où aller. Certains demandent des délais pour quitter les lieux au juge de l'exécution en invoquant leur situation familiale ou leur précarité. D'autres bénéficient d'un calendrier favorable. Notamment quand le jugement intervient quelques semaines avant la trêve hivernale qui interdit les expulsions du 1er novembre au 31 mars. Si le locataire s'accroche, l'expulsion peut prendre un à deux ans.
Comment un bailleur peut-il se protéger contre l’impayé ?
Le non-paiement du loyer par le locataire ne se traduit pas toujours par une non-rentrée d’argent pour le bailleur. Lors des mises en location, les propriétaires tentent de se protéger en demandant un garant (voire deux) pour qu’il se porte caution. Le bailleur se tourne vers ce dernier si le locataire ne règle pas son loyer. Les gens qui se portent caution sont souvent des membres de la famille du locataire. Cette garantie très demandée par les bailleurs n’est cependant pas toujours facile à mettre en œuvre. Il peut arriver que le garant refuse aussi de payer. Dans ce cas, le propriétaire doit engager une action en justice pour obtenir son dû.
Pour éviter les affres de l'impayé, la souscription d'une assurance semble plus efficace que la caution. Son coût est de l'ordre de 3% à 4% du montant du loyer. Donc de 30 à 40 euros par mois pour un loyer de 1 000 euros. Une somme certes non négligeable (de 360 à 480 euros par an) mais qui évite bien des soucis en cas de non-paiement. Mais selon Corinne Jolly, la patronne du groupe De particulier à particulier, qui édite notamment le site d'annonces en ligne Pap.fr, seulement 10% à 15% des propriétaires souscrivent de tels contrats. Notamment parce que le risque de l'impayé… est rare. «Des propriétaires louent des logements pendant vingt ans, sans jamais rencontrer ce type de problèmes. Donc certains pensent qu'ils n'ont pas besoin d'assurance. Que le tri qu'ils opèrent parmi les candidats locataires lors de l'entrée dans les lieux (fiches de paye, avis d'imposition, demande d'un ou deux garants) leur suffit pour se protéger», décrypte Corinne Jolly. Jusqu'à ce qu'un incident survienne.
Outre les assurances contre les impayés de loyer proposées par les assureurs privés et certaines mutuelles, Action Logement (ancien 1% logement) a mis en place la garantie Visale. Il s’agit d’une garantie de loyers gratuite, ouverte aux locataires âgés de moins de 30 ans, qu’ils soient jeunes salariés ou étudiants. Sont également éligibles à ce dispositif les salariés de plus de 30 ans en situation professionnelle précaire (CDD, intérim) ou en mobilité professionnelle.
Les impayés sont-ils instrumentalisés ?
De nombreux dispositifs existent à destination des bailleurs pour se prémunir contre l'impayé. La Confédération générale du logement (CNL) plaide pour l'instauration d'une «sécurité sociale du logement» qui couvrirait tous les locataires et tous les bailleurs. Le risque serait couvert par des cotisations de locataires, de propriétaires et une participation financière des collectivités locales et de l'Etat. Les professionnels de l'immobilier ne veulent pas en entendre parler. La peur de l'impayé incite certains propriétaires à confier la gestion de leur logement à des agences.
Et la Fnaim a d'autres ambitions en tête : une proposition de loi du député LREM de Haute-Garonne Mickaël Nogal, enregistrée par la présidence de l'Assemblée nationale le 4 février, prévoit carrément de faire des agents immobiliers des garants du paiement du loyer aux propriétaires. Pour apporter cette garantie, ils devraient évidemment s'assurer. Tous les coûts seraient bien sûr répercutés sur les clients. Et pour limiter le risque, la Fnaim veut créer une liste noire des locataires. CQFD. Cerise sur le gâteau : les bailleurs qui souhaitent continuer à gérer eux-mêmes leur bien seraient quand même tenus de passer par les agences immobilières pour y consigner le dépôt de garantie de leur locataire (le mois de loyer supplémentaire demandé au nouvel occupant lors de l'entrée dans les lieux, appelé à tort «caution»). Le projet de loi Nogal fait des professionnels de l'immobilier les consignataires de ces fonds. «Un texte cousu d'or pour les lobbys de l'immobilier», dénoncent à l'unisson des responsables d'associations de locataires et de propriétaires. Aux propriétaires qui ne vont pas vers les agences, la loi se chargerait de les contraindre à le faire. Du sur-mesure jusqu'à la caricature.
(1) «Les contentieux liés au logement», Infostat-Justice n° 167 de mars 2019.