C’est un hôtel chic et discret dans le Marais à Paris. Les invités, une soixantaine, des imams pour la plupart, viennent de France, d’Italie, de Belgique ou de Suède. Tôt mardi matin, ils ont déposé une gerbe de fleurs devant le Bataclan, en mémoire des victimes des attentats du 13 novembre 2015. Hasard du calendrier, c’est le jour où le président Emmanuel Macron fait ses premières annonces pour lutter contre ce qu’il appelle le «séparatisme islamique». Le dossier est compliqué. Le chef de l’Etat veut enrôler les responsables religieux dans son combat.
Sous la houlette de l'imam de Drancy (Seine-Saint-Denis), le controversé Hassen Chalghoumi, ces imams européens, parmi lesquels une poignée de mourchidates (des prédicatrices), planchent jusqu'à jeudi sur la question de la radicalisation, entre brainstorming et sessions de formation. «Il y a une urgence de plus en plus forte à prendre en main ce problème», explique à Libération Hassen Chalghoumi. Il nous reste peu de temps avant 2022.» Sa crainte ? Que l'extrême droite capte des voix en s'appuyant sur la peur du terrorisme islamiste.
«Pression»
A la tribune, en ouverture des travaux, l'ancien député de droite du Rhône Georges Fenech, qui a présidé la commission d'enquête parlementaire sur les attentats de 2015, s'enthousiasme : «Ce n'est pas seulement un colloque qui a lieu ici mais une première historique.» Il se félicite que des imams se mobilisent contre l'islam politique et le terrorisme. La brassée de compliments est sans doute excessive.
Même si l'opération est très largement médiatisée, elle fait grincer des dents. Dans les milieux musulmans, souvent réservés à l'égard des initiatives de l'imam de Drancy et aussi chez les spécialistes de l'islam. Mais avoir réuni ces responsables n'est quand même pas rien. «Il y a une pression des autorités et des préfectures pour que les imams se mobilisent sur cette question de la radicalisation», explique M'hammed Henniche, figure de la Seine-Saint-Denis et secrétaire général de l'UAM-93 (Union des associations musulmanes). Lui aussi a été invité. Mais il a décliné. «Je ne suis pas imam», explique-t-il poliment. Et diplomatiquement.
Le problème ? Tous les intervenants ou formateurs du colloque viennent du Caire, et sont rattachés directement au grand imam d'Al-Azhar, Ahmed al-Tayeb, ou appartiennent à l'université islamique. Al-Tayeb est un soutien au régime du maréchal Sissi, qui traque urbi et orbi la confrérie des Frères musulmans. «C'est l'autorité la plus respectée de l'islam sunnite», se défend Chalghoumi. Mais au colloque, il n'y a aucun spécialiste européen ou français de la radicalisation. L'imam de Drancy se défend de toute opération politique menée avec l'Egypte et ses alliés saoudiens et émiratis.
Pourtant l'islam de France fait, ces derniers mois, l'objet d'intenses batailles. «Plusieurs pays musulmans se préoccupent du fait que l'Europe serve de base arrière à l'islam politique», pointe l'un des meilleurs experts des milieux musulmans français. Récemment, un personnage est apparu dans les radars de l'islam hexagonal : Ali Nouaymi, ministre émirati chargé du Conseil mondial des minorités musulmanes. Sans succès, il a tenté de racheter l'une des grandes mosquées de la banlieue parisienne, celle d'Evry, proche du Maroc. Rabat y a fait férocement barrage. «Depuis, il y a, en France, une bataille entre le Maroc et les Emirats», explique une personnalité de l'islam de France.
Réseaux
Ces nouveaux venus (les Emiratis), les bras chargés de pétrodollars, tentent de séduire des imams sur le terrain. Leur combat, c'est d'abord et avant tout les Frères musulmans. Selon les experts, ils estiment que la France les a trop laissé prospérer. «Ils contrôlent plus de 250 mosquées», appuie Chalghoumi. Mais ces vingt dernières années, les réseaux fréristes ont surtout mis l'accent sur la création d'écoles musulmanes ; beaucoup d'ailleurs sont sous contrat avec l'Etat. Elles drainent les ressources de la branche française de la confrérie, Musulmans de France (ex-UOIF).
Mais en France, la question de la radicalisation concerne essentiellement la progression du salafisme, mouvement peu organisé si ce n’est autour de personnalités implantées localement. Celui-ci peut être, selon les travaux du chercheur Hugo Micheron, un sas vers le jihadisme.